Détection, sélection, accompagnement, plan de carrière et financement, les futurs et actuels champions sont livrés à eux-mêmes ou munis de petits moyens. Le système est bloqué depuis des années. Les médailles d'or olympiques de Gammoudi et Mellouli, les autres médailles gagnées aux JO, et toutes les consécrations et performances à l'échelle mondiale (et qui ne sont pas nombreuses quand on parle de haut niveau si l'on considére les dernières décennies) n'ont jamais été le fruit d'une politique d'Etat en sport. Loin de là, la Tunisie n'a jamais misé sur le sport et la jeunesse comme secteur stratégique au même titre que le tourisme ou l'industrie ou l'éducation. On peut seulement retenir l'amélioration de l'infrastructure sportive malgré les défauts dans les stades et surtout dans les salles omnisports à chaque fois où il y a la pluie ou la hausse de la température. On peut aussi retenir la qualité de quelques dirigeants fédéraux et responsables au ministère des Sports, sans oublier le mérite d'une poignée de champions qui ont réussi à percer sur le haut niveau international sans disposer de gros moyens par rapport à ce qui se donne dans d'autres pays. Mais dire que les quelques exploits réalisés sont dus à une politique de sport, c'est archifaux. L'Etat, à travers le ministère des Sports et les fédérations — les premiers concernés par le dossier de l'élite —, n'ont pas réussi, jusqu'à aujourd'hui à mettre en pratique une vraie politique sportive consacrée à l'élite et qui lui donne les moyens et le savoir pour percer et réussir sur la durée. On peut même dire que les exploits réalisés sont un véritable miracle par rapport à toutes les imperfections et les défauts qui marquent la gestion de l'élite sportive en Tunisie. Par rapport à la perte de temps et de moyens dans les conflits et dans les règlements de compte dans les fédérations et au ministère des Sports, le fait de réussir même ponctuellement est quelque chose d'extraordinaire. Beaucoup de techniciens avertis affirment que ce système mal conçu et mal géré doit être remis en question et régénéré car ce qui a été acquis jusque-là à l'échelle mondiale est un concours de circonstances où la qualité de l'athlète et l'encadrement technique ont dissimulé la mauvaise gestion et le manque de moyens. Qui fait quoi ? Puisqu'il n'y a pas de vraie politique de sport, en Tunisie et de programmes spécialisés pour l'élite sur la longue durée et qui mobilisent des équipements et des finances lourdes, le dossier élite en Tunisie est livré à lui-même. Au passage, beaucoup de zones d'ombre, de méthodes archaïques de détection des futurs talents, une coordination bureaucratique lourde entre les fédérations et le ministère des Sports. Tout cela se résume par une question : qui fait quoi? Un champion que l'on veut amener sur la voie des titres et des consécrations mondiales (et non africaines et arabes qui n'ont aucune valeur!) ne l'est pas en deux ans. Il doit être détecté et accompagné depuis son plus jeune âge jusqu'à ce qu'il acquière les qualités pour disputer ses chances en senior. En Tunisie, un champion est découvert généralement par hasard : on fait du tapage médiatique, on lui promet monts et merveilles, puis le ministère et sa fédération le laissent tomber, faute de savoir et d'argent et faute aussi d'intérêt. Ils sont des dizaines de jeunes champions à ne pas comprendre comment planifier leur carrière. Ce n'est pas une spécialité accessible à tout dirigeant fédéral ou responsable ministériel. Généralement, l'élite est délaissée et les talents ne savent pas à qui ils ont affaire pour réussir dans le haut niveau. Entre correspondances, entretiens au ministère et aux fédérations, procédures administratives et terrible lenteur dans le traitement des dossiers, et surtout faute de soutien financier (une carrière de haut niveau à l'international coûte très cher), ces talents finissent par se faner et s'éclipser petit à petit. D'un projet de champion mondial, ce talent rentre dans le système anarchique et biaisé pour jouer et peut-être réussir à l'échelle africaine, ou plus souvent, pour partir à l'étranger et tenter sa chance sous d'autres cieux. Il deviendra entraîneur à l'âge de 27 ou 28 ans dans sa discipline, alors qu'à ce même âge, ses adversaires en juniors ou cadets il y a des années, dominent encore la scène mondiale. La liste est très longue d'athlètes et de joueurs «sacrifiés» par le système faillible de la gestion de l'élite en Tunisie. Ils incarnent l'injustice sportive qui a privé le pays de consécrations internationales. Remarquez bien qu'on ne manque pas de «matière première» en talents, et à degré moindre de techniciens (une petite partie des entraîneurs tunisiens tend vers les standards internationaux). Mais on manque terriblement de politique d'élite, et de moyens financiers et humains et aussi de structure claire, pour accompagner un jeune champion vers le haut niveau. Malheureusement, les fédérations renvoient la balle au ministère des Sports qui, lui, leur renvoie l'ascenseur et chacun se dit le plus compétent sur ce dossier. Injustice, mauvais suivi, «deux poids deux mesures» (des athlètes sont mieux servis que d'autres selon l'appartenance sociale et les affinités personnelles), pertes de temps et d'effort, incompétence, abus de confiance, on peut parler encore des «maux» du système de l'élite en Tunisie. Et tant qu'il n'y a pas encore une vraie politique sportive qui offre moyens, expertise et visibilité, on attendra encore un coup du sort pour voir des champions internationaux.