Par Soufiane BEN FARHAT Les abcès de fixation n'en finissent pas d'envenimer notre vécu. La question de l'émigration clandestine entre la Tunisie et l'Italie en est un. Les gouvernements européens s'étripent dessus. Pourtant, la question ne cesse de broder dans le sinistre rayon du tragique. Chaque jour, ou presque, des dizaines de cadavres de pauvres hères sont tirés des fonds marins. La quête de l'Eldorado finit dans de froids et macabres abysses. Sur fond de l'indicible horreur d'illusions perdues dans le tréfonds de la mort secrète. Comme toujours lorsqu'il s'agit d'étrangers, certains gouvernements européens jouent les premiers violons dans le concert de l'exclusion. C'est ainsi que la Commission européenne a condamné vendredi 1er avril les contrôles érigés par la France à sa frontière avec l'Italie. Des contrôles destinés à faire la chasse aux migrants tunisiens. En fait, la France et l'Italie sont membres de Schengen. C'est-à-dire de l'espace européen, par définition et vocation, sans frontières intérieures. La Commissaire européenne chargée de l'immigration, Cecilia Malmström, l'a réitéré lors d'une conférence de presse à Bruxelles : «La France pourrait évoquer une menace grave à l'ordre public, mais nous ne sommes pas dans ce cas», a-t-elle précisé. Concernant les migrants tunisiens, la commissaire européenne a rappelé que «les autorités françaises ne peuvent pas les renvoyer en Italie». Paris estime en revanche être en droit d'effectuer ces contrôles qui seraient «épisodiques». La Commission européenne ne le voit pas de cet œil. Lesdits contrôles sont plutôt «systématiques». Soit, forcément, contraires au Traité de Schengen. Dans l'entourage de Cecilia Malmström, on est catégorique : «L'article 21 du Traité de Schengen interdit les contrôles de police assimilables à des contrôles menés par des gardes-frontières. L'article 23 permet de rétablir temporairement des contrôles aux frontières, mais la situation justifiant cette mesure doit pouvoir être qualifiée d'exceptionnelle et la Commission doit être saisie». Or, il n'en est rien. Le sujet fâche, dans l'enceinte de la forteresse européenne, intra-muros. Il sera même discuté, croit-on savoir, le 11 avril à Luxembourg par les ministres de l'Intérieur de l'UE. Les Italiens, eux, ne sont pas en reste. Ils détiennent des milliers de Tunisiens dans des conditions inhumaines et insalubres, dignes des forçats des siècles révolus. Le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, a signifié vouloir rapatrier manu militari des centaines de migrants tunisiens par jour. Bien que la Tunisie ne soit liée par aucun accord de réadmission avec l'Union européenne ou ses Etats-membres. La liberté du plus fort opprime. Inexistante, la loi ne protège pas. C'est dire qu'il incombe à notre gouvernement ou bien de hausser le ton ou bien de saisir le taureau par les cornes. Berlusconi a déclaré hier qu'il sera dans nos murs pour «endiguer» le flux de migrants. Comme ça, à la bonne franquette. Nos officiels se taisent. On aurait pourtant aimé voir un haut responsable tunisien au milieu des migrants potentiels. En lieu et place du Berlusconi-show escompté. Soit l'expression d'une ferme volonté traduisant un acte de souveraineté, plutôt qu'un triste manège sur un beau rivage. Etrange alchimie des temps présents. La Tunisie a reçu en moins d'un mois près de deux cent mille migrants fuyant la Libye. Des réfugiés circonstanciels, meurtris, hagards, blessés, traumatisés, totalisant des dizaines de nationalités, y compris des Français et des Italiens. L'accueil qui leur a été fait a forcé le respect et l'admiration du monde entier. Agréablement surprises, les instances onusiennes appropriées l'ont signifié haut et fort. Les Tunisiens, toutes couches sociales et instances civiles et administratives comprises, ont rivalisé de générosité et de don de soi. Personne ne s'en est plaint. Personne, quel qu'il soit. Des dizaines de milliers de ces réfugiés ont été rapatriés, à leur demande, aux frais des Tunisiens. Des dizaines de milliers d'autres réfugiés demeurent encore dans notre pays. Ils y resteront autant qu'ils le désirent. Nourris, blanchis et bien traités, comme s'ils étaient dans leur propre pays. Et ce n'est point une faveur de notre part. Les impératifs de solidarité et d'hospitalité le commandent. Nous le faisons par tradition, instinctivement. Notre pays a toujours été une terre d'accueil, de brassage et de partage. Nous ne faillirons jamais à cette noble vocation qui est la sienne. Malheureusement, les autres font la chasse aux Tunisiens, dressent leurs chiens pour flairer du Tunisien à la croisée de frontières qu'on croyait révolues. Recréées de toutes pièces au gré des grimaces de la peur, de la xénophobie suscitée et de l'exclusion dument assumée. Eux aussi le font par instinct, par tradition. Hélas !