Par Mhamed GAIEB Décidément, la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique se comporte comme un Etat dans l'Etat. Composée d'éminents professeurs universitaires, de juristes expérimentés et de représentants de partis et de la société civile, sa mission est d' élaborer des propositions sur la meilleure façon de construire un nouveau système politique juste et démocratique dans notre pays. A t -elle réussi dans sa mission historique ? Beaucoup en doutent. Ses choix, transformés en décisions formelles, ne recueillent pas l'unanimité auprès des Tunisiens. Il n'y a qu'à écouter les gens et lire les journaux. Je commencerai par le choix du processus politique que nous sommes en train de suivre, et qui commence à tirer en longueur, alors que les conditions sécuritaires, économiques, sociales et politiques du pays, et la faible légitimité de notre gouvernement actuel, plaident pour un cursus plus court. La Haute instance, après avoir envisagé la tenue d'élections présidentielles, a changé son fusil d'épaule et a opté pour l'élection d'une Assemblée constituante, qui sera chargée de la formulation et de l'adoption d'une Constitution. Or cette option, comme chacun sait, nécessite beaucoup de temps. N'y avait-t-il pas un autre processus plus court ? Comme l'ont proposé plusieurs voix et continuent à le demander, n'était il pas plus approprié d'envisager la tenue d'un référendum, dès le début, soit sur un projet de Constitution amendée, soit sur le type de régime à mettre en place, et d'aller ensuite aux élections. L'Egypte, qui a vécu sa révolution après nous, a pris de l'avance dans la réalisation de ses objectifs, en organisant un référendum sur l'amendement de la Constitution. Dans l'état actuel des choses, et comme l'ont démontré plusieurs sondages et interventions dans les médias, il apparaît que la grande majorité des citoyens n'est pas prête à aller à l'élection d'une Assemblée constituante. Ils disent qu'ils ne savent pas encore pour qui voter. Ils se sentent perdus devant la multitude de partis politiques, qu'ils ne connaissent même pas. Alors que la tenue d'un référendum, où il leur serait demandé de choisir entre deux ou trois options ou répondre par oui ou par non, aurait été plus simple pour eux, et plus facile à organiser. Pourquoi a-t-on ignoré cette option ? Elle nous aurait pourtant évité bien des tracas. Je continuerai avec le choix du mode de scrutin. Alors que des voix s'étaient élevées en faveur du scrutin uninominal et avaient exprimé leur refus catégorique du vote par liste pour des raisons très logiques, voilà que la Haute instance, après moult tergiversations et débats houleux, nous annonce que son choix s'est fixé sur le vote par liste. Ce sera comme ça ! Même si ce type de scrutin favorise certains partis connus et lèse les petits partis et les indépendants. La Haute instance a aussi décidé que la parité hommes-femmes doit être respectée. Avec tous mes respects pour nos citoyennes, est- il normal qu'on doive élire une personne pour une mission de grande importance sur le seul critère de son genre ? Ça ne s'est vu dans aucun pays du monde, même les plus féministes. La sélection doit se faire sur la base du mérite, des qualifications et de l'expérience du candidat, et non pas parce qu'il est homme ou femme. Si nous avions des candidates qualifiées, les gens voteraient pour elles. Elles pourraient être même majoritaires dans certaines circonscriptions. Pourquoi pas ! Nous avons des femmes très qualifiées qui militent dans les partis politiques et qui ont des chances d'être élues, pour leur propre mérite. Elles n'ont pas besoin du coup de pouce de la Haute instance. Pour finir, je citerais la grande confusion qui prédomine en ce moment concernant la date des élections. L'Instance supérieure indépendante pour les élections, pour des raisons de logistique et d'organisation, a proposé, à juste titre, le report des élections de juillet à octobre. Qui est responsable de cette nécessité de report et de la confusion qui s'en est suivie ? Eh bien c'est la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, qui, par sa lenteur, ses hésitations et ses conflits internes, a accumulé un retard de près de deux mois. Le code électoral, promis pour fin mars, n'a été officialisé que récemment, et l'Instance indépendante pour les élections vient à peine de voir le jour. Ces retards ont créé beaucoup de cafouillages qui ne sont pas de nature à aider le pays à sortir de la zone de turbulences. La Haute instance aurait-elle le courage de rectifier le tir et de proposer une feuille de route plus adaptée aux conditions actuelles du pays, ou continuera-t-elle dans la voie qu'elle s'est tracée ? L'histoire nous le dira.