Nous avons laissé, dans notre dernier article, Fethia Khaïri prendre des coups à cause de Hassiba Rochdy. En effet, Fethia Khaïri et Mokhtar Mlaouah s'aimaient d'amour tendre et fou. Ils finirent par se marier. Pourtant, au début, la famille Mlaouah était farouchement opposée à ce mariage avec une artiste, chose très mal vue en ce temps-là. Un jour, Mokhtar proposa à Hassiba, qui était donc une grande copine à Fethia Khaïri, d'intervenir auprès de ses parents pour approuver ce mariage. Les parents, dès qu'ils ont aperçu leur enfant en compagnie de cette demoiselle, crurent d'emblée qu'ils avaient affaire à la fameuse dulcinée de Mokhtar dont ils ne voulaient pas en fait. Hassiba Rochdy a été ainsi accueillie à coups de poings et de bâtons, de morsures… Fethia Khaïri partit en France enregistrer des chansons à Paris avec M.Béchir Ressaïsi, le premier patron de la première maison de disques en Tunisie. Le duo Fethia-Triki était accompagné de Hassiba Rochdy et d'une troupe composée de Mohamed Jamoussi (luth) Brahim Salah (cithare)… «El Achaga harguetli glaïbi» a été le premier disque enregistré par Hassiba Rochdy. Puis suivirent «Sag najeak sag», «Billahi ya Ahmed ya khouya». Malheureusement, comme cela arrive trop souvent, l'amitié, la parfaite harmonie et la forte connivence qui liaient Hassiba et Fethia vont tourner à un fort dépit et au ressentiment. En effet, Fethia n'aimait pas que l'on dise que la voix de sa copine était meilleure que la sienne. De la jalousie, tout simplement. Cela finira par s'arranger d'autant que Hassiba a trouvé en Mohamed Triki non seulement un protecteur et un encadreur de son parcours artistique, mais également un époux puisqu'elle sera sa deuxième femme. Mohamed Triki, lui, constituera une troupe en son nom qu'il conduira lui-même. Cet orchestre se compose de Hédi Jouini (luth), Ali Sriti (luth), Brahim Salah (cithare), Kaddour Srarfi (violon), les Italiens Bonora (violoncelle) et Alessandro (contrebasse). Le mois saint de Ramadan de l'année 1938 a coïncidé avec le printemps. Dans les salles, on veillait jusqu'à l'aube sur les rythmes et les chants des plus grandes voix de l'époque : Chafia Rochdy se produisait au café Dziri, Fethia Khaïri à la salle El Fath, Hassiba Rochdy à la terrasse de l'hôtel Ayachi. Il faut rappeler qu'en ce temps-là, on chantait sans micro, ce qui donne une idée de la puissance des voix d'or d'antan. Le Théâtre municipal ne fermait pas ses portes durant Ramadan, Hassiba Rochdy s'était produite au sein de la Troupe Ennajm, dirigée par Mohamed Lahbib et de la troupe de Béchir Methenni. Hassiba Rochdy a également chanté pour le Bey. On appelle ces chanteurs… les artistes de Son Altesse. Chaque mardi, les artistes en vogue rivalisaient de talent pour séduire le Bey. Hassiba Rochdy a chanté pour Sidi Ahmed Bey et Lamine Pacha Bey. Hassiba a chanté devant ce dernier une chanson racontant la déportation de Sidi Moncef Pacha Bey à l'étranger. Elle pleura même à mi-parcours, ce qui mit Lamine Bey en colère. Moncef Pacha Bey venait à peine d'être déporté et le peuple a beaucoup aimé cette chanson «Babourinou sra annessma» dédiée au Bey nationaliste, Moncef. Les nombreux galas qu'animait Hassiba la conduisirent à se produire devant le vice-consul des Etats-Unis d'Amérique qui tomba sous son charme. Il lui proposa même le mariage, mais elle lui répondit qu'elle était déjà mariée. Leur amitié alla se renforçant. Nationaliste convaincue, notre cantatrice mettra à profit cette relation privilégiée pour permettre la libération de centaines de Tunisiens, sortis grâce à son intervention. Un vice-consul sous le charme Mais les choses ne pouvaient plus supporter cette relation «inachevée»… Le vice-consul menaça du pire Mohamed Triki s'il ne divorçait pas de Hassiba. L'inéluctable survint : la cantatrice désormais libre finira par épouser le vice-consul, lequel avait auparavant embrassé la religion musulmane. En partant aux Etats-Unis pour le voyage de noces, Hassiba enregistrera pour Radio-City des chansons d'Ali Riahi «Yelli dhalemni», «Ma habitech», de Hédi Jouini, «Yelli ouyounek fi sama», «Taht el yasmina fi lil», et de Sadok Thraya, «El barah nehlem bil ghanja». Hassiba Rochdy aurait pu signer un contrat avec la maison cinématographique Paramount, mais elle laissa tout tomber car elle avait le mal du pays. Elle insista auprès de son époux américain pour rentrer à Tunis.