Par Foued Allani C'est toujours la même chanson. A l'approche de chaque fête ou devoir religieux cycliques les musulmans se perdent en spéculations à propos de la détermination des débuts des mois lunaires sur lesquels se fondent ces rendez-vous, mêlant ainsi le religieux au scientifique et au politique, faisant couler beaucoup d'encre et heureusement pas de sang du tout. Résultat, discordes entre pays musulmans. Certains pays insistent en effet pour constater par leurs propres moyens la naissance du croissant grâce à la Ro'ya ou observation oculaire du phénomène et refusent d'emboîter le pas à d'autres pays musulmans où le croissant a été observé. Mais la question ne se limite pas à cette situation alambiquée. Elle place sous les feux de la rampe un problème nettement plus grave. Jusqu'à la dernière minute les musulmans et leurs partenaires d'autres religions ne savent pas sur quel pied danser, c'est-à-dire si le lendemain sera Ramadan ou non. Idem pour l'Aïd, donc férié ou non. Situations aussi insensées qu'embarrassantes. Des acrobaties qui nuisent énormément au monde musulman à l'interne comme à l'externe . Dialogue de sourds mais aussi aveuglement, aucun consensus n'ayant vu le jour ni pour le premier problème, encore moins pour le second, alors que les solutions existent et depuis longtemps. "Une volonté politique est devenue nécessaire aujourd'hui pour résoudre définitivement ce problème", a reconnu le Pr Ekmeleddin Ihsanoglu, secrétaire général de l'Organisation de la conférence islamique (OCI), à l'ouverture du symposium international sur l'unification du calendrier musulman organisé en juin 2009, à Tunis, en collaboration avec le gouvernement tunisien et l'Académie internationale du Fiqh (jurisprudence islamique) de Jeddah. Et d'expliquer que le problème des différences dans la détermination des débuts des mois lunaires trouvent leur origine dans l'absence d'un engagement politique de la part des gouvernants des pays islamiques pour cette unification. Car et cela a été relevé à plusieurs reprises, a-t-il dit, les moyens scientifiques et techniques ne manquent pas et ne présentent aucune contradiction avec les préceptes de l'Islam. Recommandations qui, en réalité, ont été adoptées à plusieurs reprises. Telles que suite au congrès tenu en 1978 à Istanbul sur la même question. Cela en plus de plusieurs rencontres tenues autour de la même problématique depuis les années soixante et des travaux de plusieurs spécialistes en sciences islamiques sur ce thème bien précis depuis le début du siècle précédent, tels que le cheikh Rachid Ridha et le Cheikh Mohammed Tahar Ben Achour. Mieux encore. Plusieurs juristes musulmans, tels que les cheikhs Ahmed Chaker et Youssef Al Qaradhaoui, se référant à une longue tradition islamique en sciences astronomiques et aux énormes possibilités offertes depuis des décennies par les sciences et les technologies, ont abouti à des jugements sans équivoque, affirmant ainsi sans ambages que les calculs astronomiques sont les seuls aptes à déterminer le début des mois lunaires et que ces calculs peuvent être effectués plusieurs années à l'avance. La Ro'ya étant un moyen indispensable à une époque révolue et qu'elle (la Ro'ya) ne constitue pas un aspect cultuel surtout en ce qui concerne la détermination du début et de la fin du mois de Ramadan Quand la Tunisie faisait machine arrière Désireux sans doute de ménager la susceptibilité d'une opinion publique locale influencée par certaines conceptions rigides des préceptes religieux ou afin de s'ériger en protecteurs de la religion, les gouvernants musulmans ont pour la plupart d'entre eux campé sur la position consistant à se référer d'une manière exclusive à la Ro'ya, ou instituant sa primauté. Fidèle à son mouvement réformiste et moderniste et forte de son savoir-faire astronomique vieux de plus de mille ans (Ecole de Kairouan dont les méthodes fiables étaient enseignées jusqu'à la fin des années cinquante du siècle dernier à la mosquée La Zitouna) la Tunisie avait résolu définitivement le problème en tranchant en faveur du calcul astronomique. Cela s'est traduit par la publication du décret n°60-52 du 23 février 1960 relatif au calendrier hégirien (musulman). Cette position avant-gardiste de la Tunisie n'a tenu la route que quelques années. Elle commença hélas à subir, depuis le milieu de années soixante-dix, les coups de boutoir des conceptions rigides avec en toile de fond l'opposition au régime. Celui-ci était accusé par de larges franges de la population, les islamistes en tête, de vouloir marginaliser la religion. Résultat, une formidable discorde au sein de la société à chaque début et fin de Ramadan. Voulant sans doute récupérer ce mouvement, le régime" novembriste" a, quelques semaines après son avènement, fait machine arrière, abrogeant le texte sus-indiqué rétablissant ainsi la primauté de la Ro'ya (décret n°88-727 du 8 avril 1988 relatif au calendrier hégirien). A l'heure où nous mettions sous presse, rien encore n'a filtré sur l'attitude à adopter sur la question. Un problème jugé sans doute secondaire par rapport aux échéances qui nous attendent et une polémique que certains ne voudraient sans doute pas soulever afin de ne pas détourner l'opinion publique des causes les plus urgentes et les plus vitales