Par Abdelhamid GMATI En évoquant un célèbre poète arabe, posons-nous la question et voyons si cet Aïd El Fitr 2011 ressemble aux autres, ou s'il amène des nouveautés. Il est évident qu'il y a une nouveauté, et d'importance : l'Aïd arrive alors que nous vivons la révolution. Cela implique déjà des changements dans la vie quotidienne, dans les préoccupations et dans les espoirs des uns et des autres. Les vœux que l'on échange ne sont pas nécessairement neutres ou routiniers, ils portent aussi sur un avenir qu'on espère meilleur pour les individus et pour la nation entière. Cela veut dire aussi que le mois de Ramadan a connu aussi quelques changements : des grèves, des sit in, quelques grabuges, l'accueil de nos voisins libyens fuyant le harcèlement de leur tyran, la contrebande, l'évasion de quelques prisonniers, l'envahissement du commerce parallèle… bref, beaucoup d'actions inhabituelles. Même au niveau politique où les partis anciens et nouveaux ont continué leurs actions promotionnelles…Mais pour le quotidien du commun des mortels, tout s'est passé comme si de rien n'était. Les marchés et les magasins ont été pris d'assaut, particulièrement à l'occasion de l'Aïd. Tout se trouvait là, en quantité et pour tous les besoins et les goûts. Et les emplettes ont été faites à profusion, avec, bien sûr, la rogne et la grogne, les éternels insatisfaits. Que nous apporte encore cet Aïd ? En principe, des espoirs. Durant les longues années précédentes, on fêtait sans fêter: on vivait dans la morosité, les paroles et les actes furtifs, on surveillait même ses rires de peur d'être suspectés. A Tunis, la capitale d'un pays touristique, particulièrement au centre-ville et ses environs, on vivait le désert et le silence. Peu de circulation, humaine ou automobile, des magasins fermés, beaucoup de restaurants et de cafés en congé…Bref, on se disait que Tunis, un jour de fête, était un no man's land et on se demandait à quoi elle ressemblerait un jour de deuil. Selon des témoignages, le phénomène se retrouvait un peu partout dans les villes du pays. Plusieurs quittaient les grandes villes pour aller retrouver la famille restée en province. Et on se retrouvait en famille, chez soi. On sortait rarement et les artères citadines étaient elles-mêmes tristes de ne pas accueillir leurs utilisateurs habituels, flâneurs et automobilistes. «Les villes s'endormaient», comme dirait le poète. On mettait cela sur le compte de la morosité, marque de fabrique de la dictature. Aujourd'hui qu'on s'est libéré, que tous les espoirs sont permis, qu'on peut regarder l'avenir en rose, on se dit qu'on va retrouver le goût de la fête, la saveur de la joie et du rire. Car dans le temps, on fêtait l'Aïd. Dès le matin, il y avait foule dans les artères de la ville où les magasins étaient ouverts pour la plupart, où les marchands de jouets faisaient de bonnes affaires à la grande joie des enfants qui se trouvaient aux premières loges de la fête. Les gens déambulaient, une grande partie de la matinée, se croisant, liant connaissance, se racontant de bonnes blagues, riant, appréciant et faisant la fête. Puis quelque chose s'est cassé et les gens ont désappris à rire et à fêter. On avait l'impression de vivre à l'économie, furtivement, sans faire de bruit ni de remous. Le présent Aïd nous apporte donc un grand bien : le plaisir de vivre et d'apprécier la vie. De faire la fête pour exprimer la joie de jouir de ce bien précieux. Que la ville s'éveille et vive et que les gens s'évadent du quotidien, le temps d'une joie librement exprimée : celle d'être libre. Un Aïd en fête, ce serait un beau cadeau de la révolution. Il est quand même permis de rêver !