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Que retiendra l'Histoire ?
Fin de l'acte I de la transition
Publié dans La Presse de Tunisie le 05 - 12 - 2011


Par Kmar BENDANA*
Que retiendra l'Histoire de l'inauguration de l'Assemblée nationale constituante du mardi 22 novembre 2011 ? Pour des millions de Tunisiens, c'est un grand jour assurément. Des centaines de citoyens se sont rassemblés sur la place du Bardo. Des journalistes sont arrivés de plusieurs pays. Des hommes et des femmes arborant des banderoles, des pancartes, des tee-shirts et des casquettes donnent un air de fête à cette nouvelle naissance, une atmosphère de mobilisation et d'accompagnement des élus aussi.
Postée devant la télévision à partir de 10 heures, j'enregistre le retard de la cérémonie, une habitude difficile à tuer, même après une révolution. La chaîne nationale diffuse des images hors sujet, heureusement que les envoyés d'une chaîne privée et des correspondants de radios donnent le pouls à l'intérieur de la coupole et à l'extérieur. A voir l'effervescence, on se réjouit que l'événement soit dans la rue, que la politique ne soit pas acheminée par les seuls canaux cathodiques, qu'elle se mêle à la vie de la cité. Les policiers sont là, et on commence à s'habituer à l'idée qu'ils ne frapperont pas. Une radio annonce l'agression de la députée qui a fait des déclarations désobligeantes envers les mères célibataires, mais on ne tarde pas à la voir quelques minutes après se frayer un chemin, rayonnante, dans les couloirs. On se doute que cette Assemblée aujourd'hui au complet ne sera pas toujours aussi grouillante. Au fait, comment vont faire les députés tout au long de l'année future? Comment vont-ils travailler? Quelles dispositions ont été prises pour qu'ils effectuent leur mission ? Logeront-ils dans la capitale ? Et les journalistes ? Seront-ils toujours présents ? Aurons-nous un suivi de cette activité constituante ? Pourquoi n'instituerions-nous pas une chaîne parlementaire ? On n'a pas l'habitude de se poser ce genre de questions, d'émettre ce genre de souhaits. Cette Assemblée va-t-elle nous rapprocher de la politique et des problèmes du pays ? La suite nous dira si nous abordons vraiment une ère politique nouvelle. Les historiens apprécieront ce redémarrage après la parenthèse de la Constitution suspendue.
Tout le monde est sur son trente et un, l'élégance qui règne est digne des jours de fête. On voit des femmes en cheveux et d'autres à la tête couverte, les hommes sont bien coiffés, trois portent jebba et chéchia, un quatrième une casquette. Le parterre mêle des têtes connues et d'autres nouvellement découvertes à la télé, beaucoup d'inconnues aussi. Les personnalités politiques de la transition et du gouvernement provisoire sont placées à part ; elles forment une assemblée nettement plus masculine que celle qui entre en fonction, où la proportion féminine est d'un quart environ. L'histoire retiendra au moins la féminisation du paysage des élus et leur répartition sur une mosaïque de douze partis. Cela suffira-t-il à raviver le personnel politique ? Cette représentation plus colorée insufflera-t-elle plus d'humanité dans l'écriture de la Constitution ?
La mobilité des caméras donne au protocole un air moins compassé que d'ordinaire. L'hymne national puis la Fatiha précèdent le discours du président de la République qui coule, sobre, solennel, pas trop long. Aucun officiel «étranger» n'assiste, la cérémonie s'affiche très nationale. Mais on sait que des caméras du monde entier se chargent de donner le retentissement qu'elle mérite à la première expérience aboutie des premières élections démocratiques dans un pays arabe et musulman. La liesse et la fierté de l'événement se veulent réservées aux Tunisiens, du moment que le monde les regarde. L'histoire nous racontera-t-elle les dessous de ce cérémonial bienséant ?
Après l'entracte et le départ des «invités», les 217 députés entament leurs travaux. Le doyen des élus (81 ans) est assisté des deux plus jeunes (23 ans), un garçon et une fille, une parité bienvenue qui a de plus l'avantage d'abaisser la moyenne d'âge de l'assistance. Le serment coranique résonne par la voix profonde du président mais le cabotinage et les maladresses de ce dernier finiront par embuer la distinction que chacun aurait souhaité donner à la cérémonie. Malgré les rappels de la hiérarchie partisane et de divers députés, cette direction est de mauvais augure : le président ne parvient pas à dominer sa fonction, refuse de la céder et introduit une tension dans les premiers pas de ce dispositif qui se met en marche sous les yeux de tous. Diriger est décidément très difficile. Pourquoi n'y renonce-t-on pas ? L'histoire retiendra-t-elle qu'il en coûtera à cet honoré d'un jour de perdre le poste qui lui était promis, de conduire le groupe parlementaire de son parti ?
Un happening introduit la question ô combien sensible des martyrs de la Révolution. Il ne vient à l'idée de personne que cette initiative est librement proposée par un député. Le geste est beau mais ce rappel nécessaire est hélas gâché par son amateurisme. La lecture des noms est hésitante, sans ordre ni suite logique et quand on apprend, dans la confusion, que les martyrs de Sidi Bouzid ont été oubliés, on se rappelle que cette liste aurait pu, si elle avait été pensée, inclure d'autres noms encore, notamment les 56 morts du bassin minier de Gafsa de 2008. Les historiens se pencheront-ils sur la façon dont cette liste a été préparée ? L'histoire fera-t-elle l'inventaire des victimes du régime de Ben Ali ?
Pour l'heure, l'attention reste suspendue et si des erreurs s'égrènent, on les met sur le compte de l'apprentissage, de l'impréparation. Le plus jeune assesseur se déclare, on rectifie le tir, il vient à la tribune remplacer celui qui a assuré la cérémonie d'ouverture. Improvisations regrettables mais l'atmosphère reste bon enfant. La prochaine ouverture de session sera-t-elle mieux organisée ? Les députés applaudissent un peu trop souvent. Cela sent l'ancien régime, les préposés à la claque peuplant toutes les réunions. Enfin, la parole circule entre les sièges, des députés protestent contre la couverture d'un magazine distribué en leur absence, des avis orientent la séance, des suggestions fusent pour atténuer les impairs de la présidence. Tout le monde parle de peuple, de martyrs, de nation...Ce sont, certes, de beaux mots mais ne sont-ils pas incorporés dans cette assemblée ? A quoi sert-il de les répéter quand on les incarne ? Il suffit de passer à l'action. Si les historiens se penchent sur ces usages rhétoriques, quel enseignement peuvent-ils tirer des applaudissements et du langage convenu dans l'enceinte de cette Constituante en herbe? Pourvu qu'elle se penche sur les mots qui vont tracer l'avenir constitutionnel.
Des scènes nous font espérer quelques changements : transmettre en direct des opérations de candidature et de vote, même sans le son, donne le sentiment qu'on est partie prenante dans l'histoire qui est en train de s'écrire. Une lueur de vie s'allume dans ce lieu de parole et de mise en texte : des gestes et des actes émergent, des gens s'affairent. L'histoire retiendra-t-elle le discours senti de la candidate non accréditée par la coalition tripartite ? Soulignera-t-elle la leçon d'application démocratique que représente cet acte voué, non pas à gagner le fauteuil de la présidence, garanti par les tractations antérieures, mais à introduire une liberté de plus: celle d'imposer la visibilité des moins forts ? L'hémicycle est le lieu d'une scénographie démocratique balbutiante. Patience.
Dehors, la pauvreté et le chômage persistent, l'insécurité augmente. Si des procès s'élargissent à d'autres responsabilités que celles des familles Ben Ali et Trabelsi, les sit-in et agressions sont en hausse. Les prix flambent et les forces de l'ordre, surprises par les menaces de juger ceux qui ont jadis tiré, doivent s'habituer à défendre des citoyens demandeurs de compte. Les Tunisiens en métamorphose et en alerte attendent des signes de ce nouveau personnel politique après le chèque électoral, signé par la moitié d'entre eux. Des hommes et des femmes sortis de l'ombre et des prisons, de l'exil même, prennent place pour une translation étatique chargée de porter le pays vers un fonctionnement plus démocratique. Que retiendra l'histoire de ces arrivants sur la scène ? Seront-ils des figurants ou des acteurs à part entière de cette transition ?
La dictature qui a fait bâtir la coupole du Bardo et l'a peuplée d'une fiction parlementaire a élaboré une rhétorique démocratique coupée du réel. Elle a doublé le manège du morcellement de l'espace politique potentiel, empêchant les énergies capables de s'atteler à la chose publique de participer au jeu. Le ring de la Constituante abrite aujourd'hui une performance dont on attend une remise en ordre des règles, des opérations concrètes et plus seulement des résolutions verbales et des marchandages de coulisses. Si le match se déroule autour des seules prévisions de la coalition, the game is over : le jeu ne tardera pas à se transformer en pugilat et le pays deviendra l'otage d'une violence qu'aucun communiqué consensuel ne peut cacher et qu'aucune rétractation ne peut guérir.
La Constituante de 1959 est née d'une coalition autour du plus fort, d'une légitimité construite sur des années de prison et de combat contre l'ennemi puis de règles soi-disant majoritaires. Elle a donné des réformes sociales sans empêcher les réécritures déviatrices et la confiscation du pouvoir au sommet. Celle qui entre en fonction saura-t-elle échapper à cette grammaire dictatoriale ? Accouchera-t-elle d'une forme de vie politique pacifiante, responsable, défendant les faibles pour préserver l'ensemble ?
L'histoire dira son mot mais le présent presse et l'inquiétude gronde, à l'extérieur de l'hémicycle en fête.


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