Par Abdelhamid GMATI Il s'agit de la «Journée mondiale de la gentillesse» qui aura lieu le 13 novembre et dont le succès prend de l'ampleur à travers le monde. Le message retenu pour cette année est «Prenons soin les uns des autres». C'est dans les années 60 que le «Mouvement de la petite gentillesse» est apparu au Japon. Il s'agissait de contrer la montée de la violence à l'Université de Tokyo. Pour les initiateurs, une petite attention quotidienne de chacun finirait par imposer la bienveillance, non seulement dans le campus, mais aussi dans la ville et tout la pays. Le mouvement prit de l'ampleur et en 1997 fut créé le « Mouvement mondial de la gentillesse » qui choisit le 13 novembre pour lancer cette journée. Des millions de membres à travers le monde célèbrent cette journée. L'objectif est clair: promouvoir la gentillesse, inviter chacun à prendre soin des autres par des petites attentions bienveillantes. Dans un monde matérialiste, égoïste, cynique et souvent brutal, la gentillesse est souvent assimilée à de la faiblesse, de la naïveté, voire à de la bêtise. Et pourtant, selon les psychologues, elle est valorisante, aboutit à l'équilibre personnel, au respect de soi et des autres et développe l'esprit d'entraide, d'écoute et d'amabilité, permettant la paix sociale et l'entraide. Qu'en est-il chez nous ? De l'avis de nos visiteurs étrangers, le Tunisien est gentil, aimable, accueillant, hospitalier. En fait, le Tunisien est pacifique, généralement tolérant, serviable, privilégiant la manière douce, le dialogue pour résoudre les inévitables conflits. Malgré les vicissitudes des différences, du régionalisme, voire du tribalisme. Les cas de violence sont rares. Même dans le langage courant, on s'adresse aux autres en commençant par «khouia» (mon frère), «okhti» (ma sœur). Même si, depuis un certain temps, on utilise des gros mots ou des blasphèmes. Certains estiment que cette gentillesse relève de la manipulation (une séduction pour parvenir à ses fins), ou de l'hypocrisie. Il y a un peu de ça. Mais depuis la révolution, le Tunisien s'est lancé dans des revendications à répétition et dans des manifestations intempestives. Cela relève essentiellement de cette liberté d'expression, longtemps brimée et enfin retrouvée. Et cela n'est pas près de s'arrêter. Mais depuis quelques mois, on assiste à un autre registre, celui de la violence verbale et physique. On n'a jamais vu autant de poings levés, menaçant et de mines vociférantes. Cela provient essentiellement de quelques groupes barbus venus d'on ne sait où mais étrangers aux Tunisiens tels qu'on les connaît. Ne serait-ce que par l'accoutrement et le comportement. A défaut de gentillesse, on nous sert des gentillesses, c'est-à-dire des injures, des insultes, des accusations, et ce, de la part d'hommes politiques, gouvernants et autres. Alors que les débats à la télé, à la radio et ailleurs sont supposés se dérouler entre personnes civilisées, polies, échangeant des idées, des opinions, dans la sérénité au grand bénéfice des spectateurs et auditeurs, on assiste à de véritables joutes verbales où l'agressivité, la menace, l'insulte sont devenues courantes. Particulièrement ces derniers temps, on a assisté à des «presque pugilats» lors d'émissions diffusées en direct, ou même en différé, par plusieurs chaînes publiques et privées. On se rappellera l'altercation entre un humoriste et un ministre. Regrettable. Les propos proférés ont amené les responsables de ces émissions à censurer à coups de «biiip» répétés pour couvrir les grossièretés et les blasphèmes. Tout récemment, un chef islamiste, Bahri Jelassi, qui appelait à la pédophilie en permettant le mariage de fillettes de 13 ans, s'en est pris à une avocate, l'insultant et mettant en cause sa féminité. Pire que de l'indécence. La dame compte porter plainte devant les tribunaux. Cela ne se passe pas seulement à la télé ou à la radio et sur les médias : cela s'étend au sein même de l'Assemblée constituante parmi les élus. Mardi dernier en pleine session plénière, le député d'Ennahdha Ferjani Doghmane a humilié la députée d'Ettakatol Lobna Jeribi, utilisant des mots durs, outranciers, odieux, proférant des menaces à son encontre. Les gentillesses gagnent en popularité chez les constituants. Ainsi le président de cette assemblée ainsi que ses adjoints multiplient les gentillesses à l'égard des députés de l'opposition pour les empêcher de prendre la parole ou même de débattre de certains sujets sensibles. Ce qui a fait dire au député Tahar Hmila à l'adresse de M. Ben Jaâfar : «Si vous continuez de travailler de la sorte, il vaut mieux qu'on rentre chez nous». Et le même député à propos du mouvement Ennahdha et de salafistes : «Ils sont comme les hommes des cavernes apercevant la lumière; ils en ont été troublés et elle a altéré leur vision». On reste confus devant tant d'amabilités. Ne nous étendons pas trop sur d'autres gentillesses, offertes aux journalistes, aux intellectuels, aux anciens rcdistes, à M. Caïd Essebsi et son parti, à tous ceux qui pensent différemment, accusés de tous les maux et de (presque) tous les manquements. La situation de notre pays n'est pas reluisante, loin s'en faut. Il faut absolument en sortir, dans l'intérêt de tous. En cette journée mondiale de la gentillesse, revenons à ce qui fait notre personnalité tunisienne, à notre spécificité. Car la gentillesse est une force unificatrice, un des attributs de la démocratie. La faiblesse, c'est de continuer sur le chemin du dénigrement, des accusations, du repli sur soi, de la cupidité, du cynisme et de la désunion.