Hichem Kannou : « Nos bases sont essentiellement constituées de militants pro-Ennahdha, on ne peut donc pas se permettre d'insulter ce parti, malgré nos réserves sur la politique de ce gouvernement » C'est avec un engouement nettement moins fort que les années précédentes et dans une capitale envahie d'odeurs nauséabondes, que les partis politiques et les organisations de la société civile ont manifesté, hier, principalement sur la grande avenue Habib-Bourguiba. Sous haute surveillance policière et le bruit des hélicoptères, chacun a tenté, tant bien que mal, de rassembler autour de lui des partisans qui étaient de plus en plus rares, temps maussade et lassitude obligent. Ennahdha, qui s'est octroyé une place centrale dans la principale avenue de Tunis (devant Le Palmarium), n'est pas parvenu à réunir « les milliers » que, jadis, elle pouvait se targuer de mobiliser. Nidaa Tounès, ou plus largement l'Union Pour la Tunisie (UPT), tire, pour sa part, son épingle du jeu, du moins en termes de nombre de sympathisants présents hier. Isolées, sans véritable soutien de la part des partis politiques, les familles des martyrs de la « révolution » essayent de faire entendre leurs voix sans amplificateurs, au milieu du boucan des autres composantes politiques. « Nous allons continuer à réclamer la vérité, même si au fond nous avons compris que certains font chanter nos politiques : l'abandon des poursuites ou l'insécurité dans le pays », regrette Adnane Mekki, président de l'association «On ne vous oubliera pas ». Ennahdha face à ses radicaux Au milieu des slogans égyptiens à la « Rabâa » et un animateur du parti Ennahdha qui reprend avec enthousiasme les vieilles recettes du parti, en premier lieu «rendre des comptes », nous retrouvons le député islamiste Badreddine Abdelkéfi qui rappelle qu'« après trois années, le peuple tunisien peut être fier de jouir de la liberté, mais nous n'oublions pas qu'un certain nombre de revendications de la révolution sont encore loin d'être à l'ordre du jour. Cela est dû en partie aux forces contre-révolutionnaires qui se reconstituent pour tenter de revenir sur la scène publique». Hédi, 59 ans, ne semble pas s'inquiéter du nombre peu important de militants nahdhaouis présents à l'occasion du troisième anniversaire de la « révolution ». « Il y a des militants qui ne souhaitent pas participer à ce type d'évènements, mais qui se dirigeront aux urnes quand on le leur demandera », explique-t-il. Et de confier : « j'ai du mal à pardonner à Ennahdha d'avoir renoncé à criminaliser la normalisation avec l'entité sioniste. Ennahdha n'a pas été assez ferme avec les caciques de l'ancien régime. J'ai du mal aussi à comprendre comment ils ont accepté de criminaliser les accusations de mécréance, alors que les oulémas de la religion comme Habib Ellouz sont normalement habilités à porter de tels jugements ». Un peu plus loin, sur les marches du Théâtre municipal, vieux de plus d'une centaine d'années, les très contestées Ligues de protection de la révolution (LPR), ont pris leurs quartiers. A un moment, le jeune animateur crie au micro « Fidèles, fidèles, ni Ennahdha, ni Nida ». Il n'a pas le temps de répéter la phrase, que les organisateurs se précipitent pour lui subtiliser le micro et le conduire dans un coin. « Tu peux insulter qui tu veux, mais jamais le parti Ennahdha jeune homme ! Ennahdha c'est notre bannière commune », le met en garde Hichem Kannou, président de la Ligue nationale de protection de la révolution. Questionné sur les raisons pour lesquelles il tient à défendre le parti islamiste au pouvoir, Hichem Kannou répond sans ciller : «Nos bases sont essentiellement constitués de militants pro-Ennahdha, on ne peut donc pas se permettre d'insulter ce parti, malgré nos réserves sur la politique de ce gouvernement ». Il ajoute que « personne ne parviendra à dissoudre les LPR ». Belaïd, Brahmi, toujours présents Du côté de la statue d'Ibn Khouldoun, les militants du Front populaire se sont mêlés à ceux de l'Ugtt, venus de la place Mohamed-Ali. En première ligne, les photos de Chokri Belaid, et Mohamed Brahmi, victimes d'assassinats politiques en 2013. « Je n'allais pas venir, tellement j'étai dégoûté, mais le sens des responsabilités m'a rappelé », confie Adnane, le fils de Mohamed Brahmi. Adnane Brahmi, qui milite au sein du Front populaire, regrette que les gens en soient venus à « regretter l'ère Ben Ali ». « Il faut que les vrais démocrates reprennent du poil de la bête pour mobiliser les citoyens autour de vrais projets », dit-il. En guise de célébration du 14 janvier, les militants du Front populaire ne sont pas là pour faire la fête, ils sont là pour réclamer la vérité sur les assassinats politiques. Une revendication qu'ils disent ne jamais abandonner. «Lorsque nous accusons Rached Ghannouchi en personne, nous ne sommes pas dans le mensonge. La mort de mon père est un crime d'Etat dans lequel plusieurs personnalités politiques, y compris au sommet de l'Etat, sont impliqués. Nous avons des demi-vérités pour le moment. Dès que nous aurons plus de preuves, nous ne manquerons pas de les révéler à l'opinion publique », insiste Adnane. Nida Tounès mobilise En couleur, dans la joie, la bonne humeur et sur fond de danses folkloriques, Nida Tounès, qui domine l'UPT, a rassemblé plusieurs centaines de personnes à l'avenue Habib-Bourguiba. A vue de nez, c'est le plus grand cortège en ce 14 janvier 2014. Brandissant la photo de Habib Bourguiba, inspirateur des dirigeants du parti, les militants chantaient et dansaient sur le son d'une musique folklorique. Un tableau toujours mis à l'avant par Fadhel Jaziri, « metteur en scène » du parti, histoire de rappeler que les Tunisiens tiennent à leurs habitudes et coutumes, tout en résistant à toute tentative de bouleversement du modèle sociétal du pays. Encore une année écoulée, on est loin de la joie des premiers jours de 2011. Les Tunisiens attendent encore des réformes réelles. Encore une commémoration fêtée avec des barrières séparant des Tunisiens en fonction de leurs appartenances politiques.