et d'une stratégie salvatrice. Certains commerces peinent à tenir le coup de la concurrence des produits d'imitation. D'autres, en revanche, virent carrément au déclin. Les souks de la Médina de Tunis semblent en phase d'hibernation commerciale coutumière à cette période de l'année. Les fêtes de fin d'année passées ainsi que la saint-valentin, les commerçants et les artisans n'ont d'autre choix que de patienter en attendant la saison des fêtes et des ventes. Comme si le sort des maîtres de la Médina, leur gagne-pain et leur épanouissement socio-économique dépendaient strictement de la saison chaude. Certains acceptent leur destinée, résignés. D'autres incitent les parties concernées quant à l'élaboration d'une stratégie bien réfléchie, à même de booster la dynamique commerciale et sauver les souks de la stagnation. Il est 11h00 en ce lundi 30 mars. Les ruelles de la Médina connaissent un mouvement anodin. Des passants à la hâte, des badauds nonchalants et des apprentis poussant avec peine les charrettes ferrées vaquent à leurs occupations respectives. Au seuil des boutiques, des commerçants et des artisans se regardent en chiens de faïence. Mus par l'espoir de pouvoir séduire une clientèle éventuelle, certains interpellent les passants en prononçant des expressions comme : «Bienvenue madame. Voulez-vous jeter un coup d'œil à l'intérieur de la boutique. Nous avons de belles choses qui peuvent vous intéresser. Nous pouvons d'ailleurs négocier les prix...», répètent-ils sur un ton courtois. D'autres, en revanche, nettement moins optimistes, semblent plutôt repliés sur eux-mêmes, assis dans un coin de la boutique. Ils ont, probablement, l'habitude de passer des jours sans qu'un client n'entre dans leurs boutiques et daigne acheter un quelconque produit. M. Ben Chaâbane est commerçant spécialisé dans la vente d'habits traditionnels. Sa boutique regorge de jolis costumes, brodés à l'ancienne et dont les couleurs varient du chatoyant au sobre. «J'exerce mon activité au souk depuis 1969. Je sais que nous avons encore deux mois à patienter avant la saison des ventes. Pour l'instant, nous nous contentons de petites ventes subvenant à peine à notre train de vie quotidien», indique-t-il. A l'instar de la plupart des commerçants, le commerce de M. Ben Chaâbane dépend essentiellement de la saison des fêtes et des mariages. Les Tunisiens et les Tunisiennes affichent de plus en plus une préférence pour les tenues à la fois typiques et modernes. Cependant, et selon l'avis de notre commerçant, ce sont les tenues féminines provenant de l'Inde, du Maroc et de Dubaï qui sont les plus sollicitées. «Contrairement à la jebba tunisienne, faite en fibrane et en coton, les jebbas, des kaftans et des jellabas sont fabriqués à partir de tissus synthétiques. En revanche, à la simplicité et à la sobriété de la jebba tunisienne, s'oppose une broderie et une finition impeccables des tenues importées. D'autant plus que le prix de ces tenues s'avère abordable, ce qui n'est point le cas des tenues traditionnelles tunisiennes de qualité», explique-t-il. En outre, pour ce qui est des tenues pour hommes, rien ne vaut la jebba et les costumes revisités brodés à la main, dont les prix varient entre 20dt et 480dt. Le prix le plus élevé correspond à un costume composé de trois pièces, fait main. Les tenues pour femmes vont de 10dt à 220dt. Et c'est un kaftan parsemé de paillettes dites «caviar» et provenant de l'inde qui est proposé au plus cher. A la merci des clients maghrébins De l'autre côté des souks, se trouve la petite échoppe de Sabri, orfèvre. Ce jeune artisan s'entoure de plateaux en cuivre martelé et ciselé, sur lesquels sont gravés des paysages et des arabesques. Sabri se contente ainsi que ses pairs de petites quantités de cuivre. Et pour cause : le cuivre se fait rare ! «Cette situation perdure depuis la révolution. Il paraît que l'usine qui nous fournissait ce métal n'a pas réussi à payer ses fournisseurs français. Du coup, le cuivre se fait rare. Certains le proposent au marché parallèle à des prix ahurissants», souligne Sabri. Et d'ajouter que le commerce du cuivre peine à résister. Seules les quelques ventes garanties par une clientèle maghrébine fidélisée permettent aux commerçants et aux artisans de tenir encore le coup. Outre l'orfèvrerie, le commerce des produits spécial cadeaux et de décoration fabriqués en argent semble, lui aussi, à la merci de la clientèle maghrébine, notamment algérienne et libyenne. «Cela fait des années que nous devons notre activités à la clientèle tunisienne, algérienne et libyenne. Les touristes occidentaux ne se rabattent que sur de petits produits de souvenir, dont le prix ne dépasse pas quelques dinars. C'est pourquoi nous sommes plus que jamais dans le besoin d'une stratégie intégrale pour la dynamisation de l'activité commerciale à la Médina ; une stratégie qui doit reposer sur des composantes bien déterminées dont la révision de la politique touristique et le comblement des lacunes caractéristiques de la Médina, comme l'insécurité et l'infrastructure», suggère Mohamed, commerçant aux souks depuis quatorze ans et spécialisé dans la vente d'articles de cadeaux en argent. Il ne manque pas de souligner l'indispensable amélioration de la qualité des produits artisanaux commercialisés dans les souks. Des produits qui manquent réellement — selon ses dires — de qualité et de finition et qui sont, par conséquent, férocement concurrencés par les produits contrefaits made in China. Manifestement, certains commerces peinent à tenir le coup. D'autres, en revanche, virent carrément au déclin. «Leblaghgia» tirent leur révérence ! C'est le cas, à titre indicatif, de l'art de la balgha (mule traditionnelle, fait main). M. Chérif Hajri est artisan spécialisé dans la fabrication de la «balgha» depuis 1970. Il se souvient de l'âge d'or de la «balgha», qui a pris fin à la fin des années 80. Une fin annoncée alors par l'introduction de produits made in China. Ce savoir-faire ancestral a été altéré en outre par le recours à la machine au détriment de l'art manuel. «Certains ont introduit la machine dans leur activité, au détriment d'une main-d'œuvre qualifiée mais aussi au détriment d'un artisanat de valeur. D'autres n'ont pu résister à la crise et j'en suis, d'ailleurs, le parfait exemple. J'ai fini par jeter l'éponge en louant mon échoppe à un autre commerçant proposant une marchandise autre que la «balgha». Parallèlement, je travaille comme apprenti chez un autre artisan», avoue le maître artisan, non sans amertume. Et d'ajouter que souk «leblaghgiya» ne traduit plus cette appellation, envahi qu'il est par les commerçants spécialisés dans les produits relatifs au trousseau de la mariée...