C'est l'histoire d'une jeune fille qui a obtenu son bac l'an dernier et qui était toute heureuse de venir poursuivre ses études à l'université de la Manouba. Jamais elle ne pourrait imaginer le calvaire qu'allait constituer son installation. Pourtant, elle avait réservé une chambre dans un foyer privé, assez proche de la fac... Ses valises faites, elle s'est rendue avec son père dans ce foyer la veille du début des cours. Mais là, une surprise de taille l'attendait : sa place a été prise, " car vous n'avez pas confirmé à temps ", lui a-t-on rétorqué. Elle a eu l'impression que le ciel lui tombait sur la tête. Plus pragmatique, son père se met à chercher un autre logement. Entre appartement en colocation avec d'autres jeunes filles, premiers étages de villas et studios individuels, ses recherches l'ont menées aux quatre coins de la capitale... Un calvaire inimaginable, fait de fausses promesses, d'arnaques, de " samsars " peu scrupuleux. Cette histoire n'est pas rare et les témoignages sont nombreux sur ce thème. Une situation qui va se renouveler bientôt, à l'occasion de la rentrée universitaire. Cela commence par les petites annonces, que les étudiants vont décortiquer au fil des jours. Mais, nous affirme un jeune homme originaire du nord ouest, " les prix sont exorbitants, puisqu'un studio dans la proche banlieue revient à 300 Dinars minimum... ".
Conflits et bagarres Cette étudiante a eu le loisir de bénéficier du logement dans un foyer étatique durant les deux premières années, pour quelques dizaines de dinars. Mais depuis, elle a été priée de céder sa place aux plus jeunes, les bachelières de cette année. " Je savais, dit-elle, que je devais quitter le foyer, mais je ne m'attendais pas à de tels prix en dehors de ce cadre. J'ai même été dans les quartiers populaires pour tenter de me loger, cependant les loyers restent trop chers pour mon modeste budget. Alors j'ai squatté dans les foyers étatiques... " Mais il ne faut pas croire que dans ces foyers universitaires, la vie soit toujours rose. Les " binômes ", comme elles s'appellent entre elles, sont tellement serrées dans ces boîtes à sardines de quelques mètres carrés, qu'elles finissent par se lasser de cet espace exigu. Une promiscuité insupportable et qui déclenche souvent des conflits entre les étudiantes et même des bagarres, selon de nombreux témoignages. Quant aux foyers privés, nous en avons visité quelques uns, ouverts aux filles seulement, en banlieue et en centre ville. Leur prix oscille entre 220 dinars pour une chambre individuelle et 170 dinars si on cohabite avec une ou deux autres étudiantes. Il y a deux à trois lits, de petites tables et juste un étroit passage qu'il faut traverser avec prudence pour ne pas attraper des bleus aux jambes. Un autre étudiant en économie assure : " je loue un minuscule studio de 12 mètres carrés en banlieue où je ne peux même pas inviter mes amis et ça me coûte très cher : 300 dinars, plus 25 Dinars pour le syndic, en plus des factures rituelles. Mes parents n'en peuvent plus de payer mes factures, en plus des leurs. Et comme je compte aller au-delà du 3ème cycle, ça va être la ruine. Je ne peux plus regarder mon père dans les yeux ! ".
Gestion impossible Pour s'en sortir, il a été travailler dans un centre d'appel, mais entre le stress de ce métier et les centaines de pages à apprendre, il a vite été obligé de choisir et d'abandonner le boulot. Mais au fait pourquoi les loyers sont-ils si élevés ? Et surtout comment font les locataires pour joindre les deux bouts, après avoir déboursé des centaines de dinars à chaque fin de mois ? Des immeubles destinés à la location, il s'en construit des dizaines chaque jour du côté du lac, d'Ennasr et dans toutes les proches banlieues. D'où vient donc cette pénurie et son corollaire, cette frénésie que l'on constate à chaque rentrée ? Le responsable d'une agence immobilière croit tenir la réponse : " ces immeubles neufs sont rarement destinés aux habitations. Et s'ils le sont, leurs prix sont trop élevés pour la bourse du tunisien moyen. " Ce que nous avons constaté, c'est que bon nombre de couples consacrent jusqu'à 40 % de leurs revenus au loyer, ce qui laisse peu de place pour des projets de construction ou d'achat d'appartement. Un couple nous a surpris en affirmant qu'à cause du loyer, leurs seules vacances datent de leur lune de miel, il y a quatre ans déjà. Le mari est pourtant banquier " mais comment gérer un budget qui rétrécit comme peau de chagrin chaque jour ? On n'ose plus aller dans les supermarchés, ou alors nous y allons avec une liste très précise, afin de ne pas se laisser aller à des dépenses excessives... " Le plus drôle, ou le plus triste, c'est cet étudiant qui nous a affirmé " j'ai tout vu : un appartement très agréable mais situé à côté d'une zone en construction où le chantier commence dès sept heures du matin. J'ai aussi trouvé un studio qui donnait directement sur un cimetière, génial pour se remonter le moral de bon matin. Il y a les propriétaires qui demandent plusieurs mois d'avance et même une année de loyer, en plus d'une caution abusive. Bref, j'habite avec deux étudiants dans un premier étage de villa, loin de la fac et je souffre... " Lui et ses amis sont en effet contrôlés par le propriétaire, qui les empêche de recevoir des étudiantes avec lesquelles ils révisent, ils n'ont pas le droit de mettre la musique un peu fort, ils doivent même rentrer à une heure limite, sinon il ferme la porte du jardin et ils sont obligés d'escalader le mur. Quant aux loyers jugés excessifs, les rares propriétaires qui ont bien voulu nous parler, se sont plaints des " saccages que les locataires font et de factures longues comme le bras d'eau et d'électricité qu'ils laissent et que la caution ne couvre que très partiellement. " Paradoxalement, certains quartiers jadis très courus semblent aujourd'hui faire fuir les locataires pour des raisons multiples : il s'agit d'Ennasr. Selon certains habitants de cette banlieue : " c'est le quartier le plus désagréable de Tunis avec ses centaines de salons de thé qui veillent bruyamment jusque tard la nuit. Il y a aussi un certain m'as-tu-vu et un manque d'amabilité, avec des rapports humains quasi nuls. Mais il y a surtout cette circulation infernale, jour et nuit, sans arrêt... " La solution à ce problème viendrait à notre avis de la construction de logements sociaux et d'un meilleur contrôle de ce secteur. Car il est anormal que les loyers soient si élevés, lorsque les salaires sont si modiques pour une majorité de citoyens...