Charmants les voisins aujourd'hui ! Indifférents, agressifs ou trop curieux, ils ne cessent de se créer des problèmes mutuellement et de se retrouver parfois devant les tribunaux. Petite intro inspirée par nos traditions orales en perdition, pour dénoncer le comportement de nos chers concitoyens. Pourtant le Prophète lui-même a conseillé le respect entre voisins et les proverbes tunisiens évoquant le bon voisinage abondent. Nos ancêtres avaient conscience que le bon voisinage était la clé de la sérénité. Un proverbe tunisien dit en substance « ton proche voisin t'est plus utile que ton frère lointain », un second était énoncé sous forme de prière : « que Dieu nous donne un voisin sans yeux et des murs sans oreilles », tandis qu'un troisième affirmait : « il faut bien connaître ses voisins avant d'acheter une maison ». Notre enquête a commencé chez un avocat qui devait défendre un client contre son voisin trop envahissant. D'après lui, « le voisin s'est permis d'étendre sa maison au-delà des quatre mètres règlementaires alors que son client, travailleur à l'étranger, était absent... » Situation classique, sauf qu'ici les deux voisins en sont venus aux mains, avec certificats médicaux à la clé et affaire en justice. Escaliers, pneus crevés, tapage Il y a aussi ceux qui, sans demander l'avis de leurs voisins, construisent des escaliers, ouvrent des fenêtres, bâtissent une trop haute clôture... Autant de désagréments qui empoisonnent la vie de certains voisins et qui en outre, seront transmis aux enfants, ce qui en fera des générations d'ennemis implacables. On nous a parlé de pneus de voitures crevés, d'inscriptions haineuses sur les murs, de plaintes auprès des agents municipaux et autres petites bassesses pleines de créativité mesquine. La solution que certains choisissent est alors de déménager pour arrêter le déversement de toute cette haine et ces actes de malveillance. C'est le cas d'un monsieur d'un certain âge, ancien ingénieur, qui a dû vendre sa maison à cause de l'agressivité permanente et répétée de ses voisins : « avec mon éducation et mon rang social, je ne pensais jamais rencontrer des problèmes de voisinage. » Avec beaucoup d'émotion, il poursuit : « dès que j'ai emménagé ici, mes voisins n'ont pas arrêté de créer des problèmes avec tout le monde, à faire du tapage nocturne, à garer leur voiture sur notre part de trottoir, de déposer leurs ordures devant chez moi et mille autres désagréments indignes de ce beau quartier. » Alors au bout de plusieurs années de tourments, il a vendu sa maison et est allé vivre dans son village natal où dit-il « les gens sont restés affables, courtois et cordiaux. » Des voisins méprisés et détestés par leur entourage, on en a rencontré. Il s'agit d'une famille où le père, travailleur à l'étranger, est absent toute l'année. Les enfants nous expliquent « dès notre retour en Tunisie, on s'est sentis rejetés. A l'école, les camarades de classe se moquaient de notre façon de parler l'arabe, une langue que nous ne parlions qu'avec nos parents, puisqu'on utilisait surtout le français à l'école et avec nos amis. Puis ils nous ont donné des surnoms horribles et nous frappaient parfois lorsqu'on protestait... » La mère renchérit : « les voisins nous traitent de Koffars (mécréants) et nous accusent de ne pas faire le Ramadan, alors que même lorsque nous étions en France, toute la famille jeûnait selon la tradition et même avec plaisir... » Son aîné avoue alors avoir « fait des misères » à certains voisins médisants, avec l'accord tacite de sa mère. Belle mentalité !
Ateliers bruyants L'autre problème que nombre de nos interlocuteurs ont rencontré avec leur voisinage, ce sont les ateliers bruyants, notamment les menuisiers, les forgerons, les tôliers, les mécaniciens... Une famille entière avoue ne plus vouloir rentrer à la maison à cause d'un menuisier installé dans une ruelle, en centre ville et qui ne cesse de faire marcher ses vieilles machines bruyantes. L'aînée passe le bac cette année et elle a besoin de calme pour se concentrer. Mais, avoue-t-elle, « avec ce bruit infernal et permanent, je suis incapable de mémoriser un cours ou de résoudre un problème de maths. » Alors elle va à la bibliothèque ou chez ses amis, avec tous les aléas que cette situation engendre, car parfois la bibliothèque est fermée et ses amis habitent loin et elle ne peut pas rentrer trop tard le soir... Interrogé, le bruyant menuisier exhibe de vieux documents, jaunis par le temps, qui montrent que cet atelier existe depuis les années cinquante. Il affirme avec beaucoup d'assurance « cet atelier je l'ai hérité de mon père et j'y travaille depuis que j'étais enfant. A l'époque, il n'y avait rien tout autour et ces immeubles n'ont été construits que de longues années après... » Mais les plus grosses plaintes restent celles des habitants d'appartements mal insonorisés. « J'ai l'impression que mes voisins du haut déménagent tous leurs meubles chaque soir, vers minuit ! », affirme une jeune femme qui s'est mariée l'été dernier et qui depuis vit un enfer nocturne. Explication : la voisine du haut, veuve de son état, est dépressive et dort mal la nuit. Alors elle passe ses nerfs sur les meubles, qu'elle change souvent de place, dans une vaine tentative de changer sa vie... Dans les autres cas, ce sont surtout des enfants turbulents qui sont à l'origine du bruit, lorsque ce n'est pas le volume de la télé ou la chaîne stéréo qui dérange. On nous a rapporté le cas d'un adolescent qui déverse pendant des heures de la musique techno dans les pauvres oreilles de ses voisins et d'une jeune fille qui met la télé à fond pour profiter des clips de Rotana. Le pire, c'est qu'ils ne se rendent même pas compte qu'ils dérangent... Et puis il y a les petites misères du quotidien, comme ces voisins qui manquent d'assommer les passants en jetant leurs sacs poubelle du haut des immeubles, pour ne pas descendre un ou deux étages.. Et même lorsque l'assommé proteste, l'assommeur referme sa fenêtre comme si de rien n'était... Il y a ces sacs poubelles qui traînent devant les portes des voisins, ou ces petits différents entre les enfants et qui dégénèrent... Le plus intolérable sur le plan humain, ce sont enfin ces voisins de certains quartiers chics qui continuent à s'ignorer superbement, à ne pas se dire bonjour lorsqu'ils se croisent dans les escaliers, chacun se croyant supérieur aux autres et les snobant de manière effrontée. Ils vivent dans une bulle faite d'égoïsme et d'indifférence, alors que nos traditions sont celles de l'ouverture sur les autres et de l'entraide. Dur, dur d'être voisins...