M. Mark Toner, porte-parole du Département d'Etat américain, vient de rater une occasion de se taire : il a tout crûment déclaré que « les Etats-Unis sont profondément inquiets d'un recul des libertés en Tunisie… » ! Rien de moins. Et quel argumentaire avance-t-il ? Travestir un homme, un Tunisien, lanceur de cocktail molotov contre les forces de l'ordre à Redayef, en un… journaliste. Ce monsieur n'a jamais fait partie de notre fraterie, pas plus qu'il ne détienne de carte de presse. Si aux yeux des Etats-Unis les perturbateurs sanguinaires sont des journalistes et si leur condamnation par la justice pour leurs actes en font des « martyrs » de la liberté d'expression, au point que le pays de l'oncle Sam se sente profondément inquiet, eh bien délivrons tant qu'à faire, une carte de presse à … Ben Laden. Si l'Amérique se dit inquiète quant à ce prétendu « recul des libertés chez nous », eh bien les Tunisiens qui aiment leur pays, qui voient en Ben Ali un réformateur de premier plan et un visionnaire, ils sont sidérés par la dégradation de la démocratie américaine, et par le dépiècement de l'Irak , parce que Bush a cru déceler les traits de Ben Laden à travers ceux de Saddam. Les Tunisiens qui tiennent pourtant à leur amitié avec les Etats-Unis, ne s'empêchent pas de voir le rêve américain se mouvoir en cauchemar ; l'exportation d'une certaine obsession schizophrène et la résurgence des vieux démons ségrégationnistes. De quel humanisme, de quelles libertés parle-t-on si la prison qui « hébergera » les détenus de Guantanamo est, dit-on, pire qu'Alcatras ? Et Abou Gharib ? Et la pendaison de Saddam un jour d'Aïd, un jour d'Islam ? Et d'ailleurs, lorsqu'on fait preuve de tant de désinvolture pour s'imiscer dans les affaires d'un Etat souverain, il faut se préparer à un effet boomerang. La respectable journaliste, doyenne-même des journalistes américains Helene Thomas (89 ans), accriditée auprès de la Maison Blanche depuis des décennies pour ses grandes qualités, a été éjectée et humiliée pour avoir usé de la liberté d'expression en critiquant les outrances d'Israël à l'endroit des Palestiniens!! Le bon sens ne dit-il pas que chacun doive balayer devant sa porte? C'est nous Tunisiens, imbus des valeurs de 3000 ans de civilisation qui devrions réellement nous inquiéter pour… l'Amérique. Il n'y a que les chiffres qui soient têtus. Lisez le communiqué en page 4 : en proportion, l'opposition chez nous n'est-elle pas plus dense qu'aux Etats-Unis ? Non qu'il faille verser dans la béatitude et croire que la démocratie et les libertés en Tunisie sont achevées. Il y a encore du chemin à faire. Sauf qu'il est révoltant de voir que, depuis quelque temps, l'Amérique fasse une fixation sur la Tunisie. Et sur quelle base ? Rien de concret. Rien de palpable. Si un vulgaire lanceur de cocktail-molotov est affublé d'un statut de journaliste, cela signifie que les Etats-Unis cherchent des prétextes ou, du moins, qu'ils fabriquent des mythes-bidons. Et d'ailleurs c'est un sport typiquement occidental : fabriquer des mythes qui ne sont en définitive que des amuseurs exotiques… (n'est-ce pas M. Ben Brik ?) A l'évidence, la force tranquille de la Tunisie dérange et fait des jaloux. Alors que l'Amérique mettait le monde en crise, par cette monstruosité que sont « les subprimes », la Tunisie résistait aux chocs exogènes qui en ont résulté grâce à la parfaite adéquation entre le social et l'économique. Nous n'avons pas de SDF sous le pont de Brooklyn. Notre système de santé rendrait de fiers services à M. Obama dont les 80% de la population ne bénéficient pas des soins gratuits. Kennedy a dit : « Nous avons refait le monde, maintenant nous devons refaire l'Amérique ». C'était en 61. Mais, depuis, l'Amérique n'a fait que défaire le monde. En bons amis à nous, les Américains devraient cultiver leurs fantasmes ailleurs qu'en Tunisie. Ne vous inquiétez donc pas M. le porte-parole du Département d'Etat. Et si, à vos yeux, M. Fahem Boukaddous est un militant de la liberté d'expression, eh bien érigez une effigie en son honneur. Et puis, pour terminer, un minimum de cohérence : l'Amérique ne badine pas avec la sécurité, on le sait. Et alors n'est-ce pas plutôt de l'effronterie que de reprocher à la Tunisie d'en faire autant ?