Opérateurs touristiques ou particuliers en quête d'une brise marine, les Tunisiens succombent de plus en plus à la fièvre des constructions «pieds dans l'eau». De Bizerte à Djerba en passant par Tunis, Hammamet, Mahdia et les autres stations balnéaires, nos plages ressemblent, plus que jamais, à une énorme dalle de béton. Une violation criarde du Code de l'Aménagement du Territoire et de l'Urbanisme (CATU), qui stipule que «la zone non constructible varie entre 25 et 100 mètres de la ligne de contact entre la terre et la mer, laquelle dépend des caprices des flots, et ce en fonction de l'existence d'un plan d'aménagement approuvé ou non». Cette entorse à l'équilibre écologique commence à alarmer les militants écologistes, les urbanistes et même les instances officielles. Une récente étude élaborée par l'Agence de Protection et d'Aménagement du Littoral (APAL) a tiré la sonnette d'alarme sur les conséquences néfastes de la bétonisation accrue des côtes tunisiennes. Cette étude intitulée « la gestion de zones côtières en Tunisie» souligne que près de 50% de la superficie totale du littoral tunisien est bétonnée, indiquant que le phénomène tend à s'aggraver dans le sillage de l'engouement perceptible de nos concitoyens pour les constructions de résidences et d'infrastructures touristiques le plus proche possible de la mer. L'invasion du béton découle essentiellement de la forte concentration des principales activités économiques sur la bande côtière. Le littoral abrite, en effet, 37 zones industrielles sur les 55 que compte notre pays et plus de 95% de la capacité d'hébergement et des activités touristiques.
Spécificité méditerranéenne
Selon la même étude, les régions côtières sont également bien loties en infrastructures comparativement au reste du pays. Ces régions côtières sont desservies par un réseau routier dense, qui s'élève à plus de 14 mille kilomètres de routes et d'autoroutes ainsi que six parmi les huit aéroports existants. La forte concentration des activités économiques sur le littoral a naturellement entraîné une grande densité démographique dans cette zone. Selon des données de l'Institut National de la Statistique (INS), les zones côtières tunisiennes comptent quelque 6,5 millions d'habitants en 2007, soit environ 63% de la population totale du pays. Ce taux était de moins 50% au début des années 60. Pour M. Fadhel Ghariani, auteur de l'étude de l'APAL, les pressions anthropiques sur les côtes constituent une spécificité méditerranéenne. «En Méditerranée, les plus grandes civilisations ont fleuri dans les zones côtières considérées depuis les temps les plus anciens comme un cadre idéal de vie, d'activité et de développement, comme un espace qui permet à l'homme de satisfaire la plupart de ses besoins. Tout au long de l'histoire, ces zones étaient aménagées, exploitées, voire convoitées par les populations », note cet expert en gestion des écosystèmes côtiers.
Conséquences néfastes
S'agissant des impacts environnementaux de la bétonisation des côtes et plus particulièrement de l'empiètement des constructions sur le domaine public maritime, l'APAL cite notamment une perte de biodiversité marine ainsi que la dégradation des paysages naturels et la perte d'habitats. « Les constructions pieds dans l'eau accélèrent le phénomène de l'érosion marine alors que le développement d'un tourisme balnéaire de masse génère des quantités importantes de déchets solides et d'eaux usées évacuées en mer », précise l'étude. La superficie totale des sites classés « sensibles ou très sensibles» situés sur le littoral est estimée par l'APAL à plus de 22 mille hectares. Une superficie considérable qui a poussé cet organisme public à élaborer tout un programme de protection du liottoral. Baptisé «rivages de Tunisie» ce programme permet, à titre d'exemple, à l'APAL de procéder aux acquisitions de terrains en vue de soustraire les sites classés sensibles à la spéculation foncière et à l'urbanisation non contrôlée. L'Agence peut aussi conclure des accords de partenariat avec les propriétaires des terres situées dans les zones sensibles, en vertu desquels les propriétaires s'engagent à exploiter leurs terrains conformément à un cahier des charges approuvé par le ministère chargé de l'environnement. Des actions plus urgentes ont été, d'autre part, menées ces dernières années. Il s'agit notamment de rechargement artificiel des plages par apport de sable et de la création de plages suspendue par la réalisation d'alvéoles sous-marines rechargées par du sable. Djerba, Gammarth, Carthage, Kantaoui, Radès, Hammamet et Soliman figurent parmi les régions les plus concernés par ces interventions. Walid KHEFIFI
28 gardes-plage
Le contrôle du domaine public maritime (DPM) est actuellement assuré par 12 unités dotées de 28 gardes-plage et réparties le long du littoral tunisien, soit une unité par gouvernorat côtier à l'exception de Béja qui est couvert par Bizerte. Ces unités assurent un ratissage hebdomadaire des plages. L'organisation du contrôle et l'amélioration des méthodes de traitement des infractions ont eu un effet dissuasif qui s'est traduit par une réduction du nombre d'empiétements sur le DPM ; qui ne dépasse par une cinquantaine de cas par an en moyenne. Ils ont aussi permis le traitement rapide, sans recours à la justice, de la majorité des infractions. En outre, des campagnes de sensibilisation annuelles sont menées en coordination entre plusieurs instances, à savoir les communes, les directions régionales de l'équipement, de l'habitat et de l'aménagement du territoire et les gouvernorats.