Par Khaled GUEZMIR - En 23 ans comment en sommes-nous arrivés là ! Maintenant que le dictateur est tombé, comment éviter l'avènement de nouvelles dictatures ! On parlera à souhait de la nécessaire séparation des pouvoirs entre le législatif, l'exécutif et le judiciaire avec comme base essentielle l'indépendance de la justice. A ce propos Montesquieu disait « seul le pouvoir arrête le pouvoir » et ajoute que tout détenteur du pouvoir a une tendance naturelle à en abuser car dit-il « le pouvoir corrompt » ! Mais ce qu'il n'a pas eu le temps de dire parce que il n'a pas fréquenté les Ben Ali et semblables : c'est que le pouvoir absolu corrompt absolument ! D'où la nécessité impérative de séparer les trois pouvoirs. La science politique américaine apporte un éclairage plus moderne à ces concepts du 18e siècle. Elle précise avec des auteurs comme David Easton, Edward Shils ou Samuel Huntington, que ces pouvoirs doivent être autonomes et différenciés avec un haut degré de spécialisation. « Autonomes » les uns des autres et dans leur fonctionnalité. « Différenciés » par leurs vocations et la nécessité de ne pas outrepasser les limites pour lesquels ils ont été créés. Enfin « spécialisés » parce que la mise en œuvre de ces pouvoirs nécessite des compétences humaines de premier ordre et « l'homme qu'il faut à la place qu'il faut ». Nous ne pouvons pas imaginer encore des professeurs de l'antiquité à la tête de ministères de hautes technologies ! à moins qu'il s'agisse d'Albert Einstein et encore ! La déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 dit entr'autres, que le gouvernement qui ne respecte pas le principe de la séparation des pouvoirs « n'a point de constitution » ce qui veut dire qu'il est illégitime ! On parlera aussi de la nécessité de protéger les droits naturels de l'Homme et des libertés fondamentales y compris les libertés intellectuelles relatives à la liberté d'expression, d'impression, et de presse ! Mais s'il y a quelque chose qu'il faut prohiber à tout jamais dans notre pays c'est : « la personnalisation du pouvoir ». Cette maladie est de fait incurable parce qu'elle est liée à l'instinct d'affirmation des individus, à l'ambition légitime de commandement chez l'acteur politique ! C'est ce que Pareto le sociologue italien appelle les « Résidus » ou les chromosomes du commandement politique. D'ailleurs pour mieux expliciter ces concepts, Pareto classe les élites politiques en deux catégories : celles qui aspirent au commandement politique, ce sont les élites « ascendantes », et celles qui n'ont pas cette ambition, ce sont les élites « descendantes » ou déclassées ! J'ai dit maladie incurable et c'est bien pour cela qu'il faut contrôler et limiter l'expansion du phénomène de la « personnalisation du pouvoir » qui a été l'origine de tous les dérapages de Ben Ali vers le despotisme et même le totalitarisme ! Dans le cas Tunisien cette pente glissante a été le fait d'une construction d'une « image » du président pharaonique ou « sultanique ». Tout dans la vie des Tunisiens et de l'Etat doit être ramené au « sauveur providentiel » ! Tout est lui et en lui ! Du moindre fait divers sportif ou culturel jusqu'à nos rêves et notre identité ! Nous n'existions que par sa volonté et sa bénédiction! Notre Histoire même ancienne c'est la sienne ! Tous les projets économiques, l'investissement, les réalisations d'infrastructures… ponts, routes, autoroutes… aéroports… stades et salles de sports… même l'agriculture biologique… étaient l'émanation et l'accomplissement de son « génie créateur » ! D'où cette abomination du « projet présidentiel » (machrou – riâassi), comme si le président était la plénitude même de l'Etat. Mais alors à quoi sert le budget de l'Etat ! Et pourquoi tous ces ministères qui nous coûtent les yeux de la tête ! Enfin pourquoi un gouvernement si tout le développement est l'œuvre d'un seul : Le président ! En fait cette « image » a été construite par les mauvais génies, conseillers de l'ombre, pour accaparer à tous les niveaux de la société « notre volonté d'être » ! Nous n'avions le droit d'exister qu'à travers et par la volonté du « chef » ou pour utiliser les termes consacrés par l'environnement servile du dictateur : « El Maâlem» Cette image a été injectée dans le corps de la nation toute entière pour accélérer sa déchéance, la condamner à l'impuissance et confisquer sa volonté d'exister et de vivre son destin ! Les rédacteurs futurs de notre nouvelle constitution, doivent prévoir les moyens de contrôle opérationnels, effectifs et efficaces, pour que le charisme politique des dirigeants, qui est légitime et nécessaire à la fonction politique, ne devienne pas une malédiction qui conduit à la dictature du président « sultanique » ! C'est pour cela, encore une fois, nous disons, que seul le régime parlementaire permet ces garanties et permet une alternance saine au pouvoir : La Tunisie nouvelle ne veut plus jamais de « Sultans»… elle veut des institutions !