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«DEGAGE», l'efficacité symbolique du langage
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Publié dans Le Temps le 08 - 03 - 2011

Emblème de la révolution, drapeau exhibé de l'atlantique au Golfe arabo-persique, le terme « dégage » débusque et surplombe l'installation de pouvoirs aux allures stables sur des sièges éjectables. Un concept sociologique, « l'efficacité symbolique, désigne ce pouvoir des mots et leur effet, pour ainsi dire, magique, aux plans thérapeutique, religieux, éthique, artistique, économique ou politique.
Mais bien avant la recherche contemporaine, les croyances monothéiques situaient l'énonciation au principe de la création. Pour les tenants de la genèse, « à l'origine était le verbe » et au vu de l'écriture coranique « il dit à la chose d'être et elle advient ». Mais pour l'émission du verbe, encore faut-il un locuteur à l'orée du verbe. Alors, nous entrons dans le vif de la subversion, annonciatrice de la révolution… Avant son auto-immolation, Mohamed Bouazizi dit : « Mère, ne m'en veut pas ; mais adresse tes reproches à ce monde » immonde. Il ne prononce pas le mot « dégage », mais dans son geste, extrême, celui du refus, déjà ce terme bruisse à l'état de germe. A la source du cri létal était la destruction d'un emploi vital et l'atteinte à la dignité personnelle par l'application d'une gifle féminine sur une joue masculine, au beau milieu de l'agora, dans le triangle tribunal de la Tunisie méridionale, ce conservatoire de l'éthos patriarcal. Le tonnerre gronde à Gafsa, Kasserine, Sidi Bouzid ou Thala, bien avant la déferlante montée à l'assaut, révolutionnaire, de l'Etat.
Durant deux décennies, l'usurpateur garnit sa caverne dorée aux dépens des franges élargies de la population. Une censure, implacable, protège la besogne exécrable. Asservir et se servir au lieu de servir déploient la misère où prospèrent les raisons de la colère.
Une enquête, menée au ras des pâquerettes, surprend les pratiques mises en œuvre depuis les hauteurs du système totalitaire jusqu'à la base de l'autorité. Pour explorer ce continent de la manipulation inavouée, revenons à Sidi Bouzid, la glorieuse tombeuse de l'ère pernicieuse. Mandaté par un bureau d'étude, SERAH, un groupe de recherche appliquée poursuit l'investigation approfondie, tout au long d'un trimestre émaillé de rebonds. A maintes reprises, les réunions paysannes en viennent, presque, aux mains, pour contester le préposé à leur direction.
Houcème Agrebi, l'agro-écononiste, Fethi Goucha, l'hydraulicien et le sociologue de l'équipe décortiquent les problèmes soulevés par la gestion des périmètres irrigués. Dans la division professionnelle des tâches, mes deux coéquipiers focalisent leur savoir calculateur sur les eaux, à l'heure où je guide, plutôt, mon bateau sur les rapports institués entre les hommes et les flots. Agronomie et sociologie diffèrent mais projettent, ensembles, deux éclairages complémentaires.
Durant les vingt réunions, tenues avec les paysans regroupés dans les « associations d'intérêt collectif », chaque fois ressurgit le même conflit.
Le président de l'AIC, toujours membre du parti, sacrifie l'intérêt général sur l'autel de son avantage particulier. A ce tableau figure sa façon d'accaparer l'eau pour l'irrigation de sa parcelle personnelle aux moments cruciaux. Les piments, tomates ou pastèques des autres peuvent dépérir de soif ; mais les siens, bien arrosés, ne flétrissent jamais. Invérifiables, ; plusieurs autres accusations pointent vers des malversations. A l'échelle de la hiérarchie locale une couverture de cette gestion immorale assure l'obéissance aux consignes électorales. Ce donnant – donnant étend le réseau par quoi les doigts de la mafia disqualifient l'Etat de droit. Les ramifications de la manœuvre suggèrent la métaphore de la pieuvre.
A chaque réunion, je repose la même question : « Puisque vous en avez la possibilité, à tout moment, pourquoi ne pas élire un autre président ? « Toutes les fois, je reçois la même réponse à mon naïf pourquoi : « Cela ne change rien, nous élisons un homme au-dessus de tout soupçon, mais dès son accès à l'autorité, il devient mauvais ».
L'esquif de l'arbitraire dérive sur la collusion du pouvoir politique et de la gestion administrative. Homme pieux et honnête, Gharsalli Taoufik fut, à deux reprises, directeur de la cellule affectée à la gestion des AIC dans le CRDA. Son témoignage rend superflues bien des pages :
« Au début, j'ai tenté de m'opposer aux abus. Mais les fauteurs, à la fois fonctionnaires et inscrits au parti, dressaient celui-ci contre moi. Ils m'accusaient d'être un opposant islamiste ou communiste ».
Assurés de l'impunité, par la capitalisation de la complicité, les utilisateurs du système d'irrigation deviennent ses prédateurs. Arrachées tout au long des canalisations, les portières protectrices des vannes d'irrigation abritent, ici, un chien et là un poulailler. La détérioration raccourcit les délais de la rénovation assurée au moyen de prêts. Lors des interviews, une série d'écrans occulte les irrégularités bien cachées. Là-haut, sur la montagne des méfaits, il aura fallu chasser le président mal aimé pour découvrir le trésor dissimulé derrière la bibliothèque où trônaient des ouvrages sans doute jamais consultés.
La généralisation de ces pratiques mafieuses entretient la production sociale de profils à la fois profiteurs et malfaiteurs. Delà provient ce refrain : « donne à manger, mange et tais-toi ». Telle est la devise de toutes les mafias. Par ce même procédé, l'entourage présidentiel achète les voix, aide les corrompus à encore s'enrichir et accumule, en catimini, des fortunes inouïes.
La censure procure le parapluie mais celui-ci finit par attirer le tonnerre du chômage et de la misère. Du président de la « république » à celui de l'AIC, la mafia définit le système d'Etat. Face au banditisme érigé en critère de normalité, la colère taraude les marginalisés. Le ressentiment est au principe de la subversion. Sur lui, Nietzsche fondait la civilisation. Aujourd'hui, mugit, puis rugit, le tourbillon magique, de la révolution démocratique. A Sidi Bouzid, l'homme-courage lutta sur trois fronts à la fois ; le quadrillage oppressif, la face perdue et l'emploi interrompu. Maintenant, son visage, admiré, imaginé ou blotti au fond des cœurs libérés, occupe les territoires évacués par le plus haï des portraits. Désormais, en lui, la jeunesse, ensorcelée, de Tunisie, percevra son fabuleux commandanté Che Guevara.
Hegel, ce géant de la philosophie, n'écrivait pas pour passer le temps de la vie. A Tunis, ou au Caire, défier la mort, suprême panache, brise les rouages de l'esclavage et congédie les coupables d'outrage. Issu des profondeurs telluriques, ce mot, magique, monte vers l'implosion volcanique ; « dégage ! ».


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