Un Sisyphe heureux et plein d'espoir « Aux âmes bien nées la valeur n'attend point le nombre des années » cette maxime bien connue de Corneille, peut être utilisée dans les deux sens, C'est-à-dire, pour ceux qui sont à l'âge tendre ou à un âge avancé. En fait tout est dans cette volonté d'aller toujours de l'avant et de franchir tous les obstacles qui empêchent de vivre pleinement sa vie. Un être opprimé est un être qui ne vit pas. Un être qui souffre est un être qui est constamment menacé de dépérissement et de mort. Dans son livre « indignez-vous » que nous avons présenté dernièrement, Stéphane Hessel exhorte à ne pas rester indifférent devant toutes les situations constituant un obstacle à la liberté de l'être humain, un homme opprimé étant un homme qui ne vit pas. Comme Marx il est conscient que l'existence détermine la conscience. S'indigner est donc pour lui la conséquence logique de la prise de conscience d'une situation où on se sent lié, opprimé ou spolié de ses droits les plus élémentaires, à savoir le droit de penser et de s'exprimer. Penser n'est-elle pas la preuve même de l'existence? Corrélativement, Stéphane Hessel, nous invite, dans son nouveau livre à s'engager. En effet il ne suffit pas de s'indigner il faut s'engager sur la voie du combat. C'est la voie de Sisyphe, condamné toute sa vie à soulever un rocher vers le sommet de la montagne, mais qui reste toujours motivé. Cette condamnation a créé chez lui l'esprit d'engagement, celui de tenir bon et de ne jamais se lasser malgré le poids du rocher et la monotonie du geste. Il ne désarme pas en voyant tomber ce rocher à chaque fois qu'il arrive au sommet de la montagne. Résignation ou espoir ? d'aucuns penchent vers la première alternative, d'autres trouvent au contraire que c'est cette détermination à poursuivre ce geste qui l'incite à toujours s'engager dans cette même voie : celle du combat, dans l'espoir de parvenir un jour à son but final. C'est l'engagement auquel appelle Stéphane Hessel dans un entretien avec Gilles Vanderpooten un jeune intellectuel que le sociologue Jean Viard qualifie d'entretien vif et passionnant. Vif, ne serait-ce que pour l'esprit vivace de ce « jeune de 93 ans » qui garde toute la lucidité et surtout toute la détermination qu'il a toujours eu à s'engager dans la défense de la cause humaine dans son ensemble. Tel Socrate, il affirme en maître à son jeune interlocuteur qui représente, en quelque sorte la nouvelle génération : « Il faut créer, car résister ne suffit pas. Toute simplification est toujours dangereuse. Il faut nous habituer avec sagesse ;cela ne relève pas de l'intelligence ni de la créativité, mais du sens de l'équilibre. On ne peut pas être seulement yin ou seulement yang. Il faut un balancement.» Passionnant car il nous appelle à découvrir cette formidable capacité que peut avoir tout être humain à affronter les obstacles, en s'engageant sans cesse dans la voie du combat. Toutefois, c'est une « conscience éthique » qui l'incite à poursuivre le combat en ouvrant la voie aux générations futures. « Nous devons apprendre à devenir moins violents pour franchir pas mal d'obstacles » soutient-il, en précisant que : « Nous sommes une espèces jeune, mais qui peut se casser la figure demain, disparaître…..nous avons fait déjà beaucoup de bêtises et nous pouvons continuer à en faire ; quelques bombes atomiques bien placées et c'est la fin ! » Il appelle par ailleurs à une organisation mondiale pour l'environnement ; « le droit de chacun à sa culture, et le droit qu'elle soit considérée par les autres comme une réalité à respecter, c'est ce qui permet à la coexistence des cultures de créer autre chose que la confrontation. » Il nous permet de confirmer cette affirmation de Camus : « Il faut imaginer Sisyphe heureux », l'engagement dans le combat continu, étant signe d'espoir, et c'est ce qui donne un sens à notre vie. A lire absolument. Ahmed NEMLAGHI *Editions de l'Aube , mars 2011, 112 pages.