Nous avons vu hier, comment la 2ème transition menée par Béji Caïd Essebsi et un gouvernement hautement technocratique a réalisé une percée majeure dans les traditions et l'héritage despotique et totalitaire des vingt cinq dernières années. L'ancien Premier ministre a compris qu'il fallait s'adosser à la Révolution pour pérenniser au moins un attribut essentiel de la démocratie : Le changement pacifique au pouvoir et l'alternance par des élections honnêtes et non falsifiées ce qui constitue une première en Tunisie.
Par conséquent, ce gouvernement de la deuxième transition malgré des tâches ingrates au niveau sécuritaire a eu l'intelligence et le courage de « déléguer » certaines attributions qui étaient auparavant du ressort de l'exécutif à des commissions indépendantes avec pleins pouvoirs et sans aucune velléité de tutelle du gouvernement.
Le résultat a été quand même cette élection du 23 octobre saluée par le monde entier : La Tunisie est enfin sur les rails. Il ne restait qu'à confirmer par la Constituante fraîchement élue, cette évolution irréversible vers une démocratie aux normes universelles, entendez telle que pratiquée en Occident, dans le Sud-Est asiatique et en Amérique du Nord.
Mais, la composition de la Constituante a totalement pris de cours l'opinion nationale et internationale : le Bardo est dominé presque totalement par la mouvance islamiste qui a une toute autre idée de l'Etat et de ses institutions.
Dès les premières réunions, le « la » était donné et la couleur annoncée : Le projet d'Etat et de société islamiste a des références autres que celles héritées de l'Occident-grec. L'inspiration première doit être la « Chariaâ », le Coran et la Sunna, justifiée naturellement d'ailleurs par un discours du genre : « Y a-t-il de plus juste et de plus lumineux que la parole de Dieu et la cité musulmane que Dieu a voulu pour nous ».
Logique et légitime pour tout musulman attaché à l'esprit et à la lettre des écritures sacrées et à certaines interprétations d'exigence en conformité avec le message divin.
Mais, il y a un hic dans tout cela. Le peuple tunisien n'a pas réclamé lors de sa Révolution du 14 janvier un « Etat islamique ».
Les cassettes-vidéos et les reportages filmés de cette époque sont édifiants, et comme le disait si bien si Hamma Hammami, du haut de sa tribune du « Front Populaire » (Al Jabha Achaâbia), on n'a vu ni barbus ni jallabas, ni « serwal » et pantalons afghans la semaine du 14 janvier de la Révolution.
Bien au contraire, les milliers de manifestantes et de manifestants éternisés par les caméras du monde entier scandaient à tout rompre la « liberté » et la « dignité ».
D'ailleurs, n'étaient-ce les drapeaux tunisiens on se croirait en Europe, en Pologne, en Croatie, en Roumanie, ou même en Espagne. Aucun slogan ne portait le référentiel islamiste.
La « Nahdha », elle-même, a fait sa campagne électorale autour de thèmes plutôt occidentaux : L'Etat républicain, la République civile, la liberté de penser et de presse et la protection des acquis de la femme et du Code du statut personnel etc... D'où ce sentiment de frustration énorme chez les Tunisiennes et les Tunisiens qui ont le sentiment d'avoir été trompés et floués par le pouvoir actuel allant jusqu'à dire, comme le font certains constituants qui menacent de démissionner, que l'Assemblée Nationale Constituante a totalement dévié des objectifs de la Révolution.
Ce sentiment est justifié par les démarches tortueuses et harassantes et le harcèlement continu du groupe dominant à l'assemblée, contre les valeurs universelles et de démocratique classique.
On essaie de grignoter dans tous les espaces portés par les valeurs de la liberté et de la démocratie. On laisse traîner les « textes » et « projets » sur la liberté de presse, l'égalité entre femmes et hommes, l'indépendance de la justice et surtout la séparation de la politique de la religion. Quant aux commissions qui ont fait les beaux jours de l'après-Révolution, elles ont été tout simplement frigorifiées et congelées.
MM. Kamel Jendoubi et Kamel Laâbidi sont au « chômage » forcé et la nouvelle constitution est au bloc opératoire à l'accouchement douloureux qui nécessiterait bientôt une « césarienne » si on tient encore à ce qu'elle voit le jour !
Par conséquent la troisième transition a été marquée par un conflit sur le modèle social, culturel et politique.
Les uns au pouvoir tiennent au référentiel islamique poussé, les autres veulent que la Tunisie devienne une fois pour toute une démocratie irréversible aux normes mondiales avec l'attachement à une identité spécifique mais millénaire telle que vécue et aimée depuis Carthage. Entre-temps, que de temps perdu ! et le 23 octobre c'est demain !