Le 4 décembre, le président français, François Hollande,inaugure le Louvre-Lens. Ce musée éthéré est sorti de la terre noire de l'ancien bassin minier au nord de la France qui aspire à une renaissance culturelle. Le concept d'installer une antenne du plus grand musée au monde dans la ville la plus pauvre de France est un défi culturel, économique et social inouï. Quelque 700 000 visiteurs sont attendus la première année. Et ces 28 000 mètres carrés sont également une révolution pour le Louvre. Quand la culture creuse la terre et l'esprit. La première impression ? Ce moment sublime quand le bâtiment surgit lentement des remblais du paysage minier : six « boîtes » rectilignes, dessinées en courbes et légèrement mises en pente. Les architectes japonais Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa (lauréats 2010 du prix Pritzker) prônent une architecture qui respecte profondément son environnement. Un geste architectural discret qui échappe aux revendications. Une sorte de « brouillard » façonné en verre et aluminium poli qui reflète terre et ciel et qui nous empêche de décerner la limite entre l'horizon et le bâtiment, entre l'extérieur et l'intérieur, entre l'horizontal et le vertical, entre le présent et le passé. Le Louvre-Lens s'inscrit dans une longue histoire et dans un paysage fort. Cette petite ville de 35 000 habitants dans le Nord-Pas-de-Calais se situa au front de la guerre 1914-18 et fut anéantie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la ville vécut les bombardements. Après, les habitants ont continué la bataille du charbon, vécu l'humiliation de la désindustrialisation et l'arrêt de l'extraction du charbon en 1990.
La Galerie du temps Cette idée de déployer d'une manière nouvelle le caractère universel du Louvre prend véritablement corps dans les 3 200 mètres carrés de la grande Galerie du temps, longue de 125 mètres et 25 mètres de large. La pièce maîtresse du Louvre-Lens est une sorte de galerie des Glaces majestueuse, où 6 000 ans d'histoire de l'art s'enchaînent et se côtoient sous un éclairage naturel zénithal. Le parcours est chronologique et d'une efficacité redoutable. On remonte le fil du temps à l'aide d'une frise historique.
Dans cette Galerie du temps totalement décloisonnée, aucun tableau n'est accroché au mur pour éviter un arrêt du flot du temps qui passe. « La particularité de cette galerie est d'avoir travaillé l'accrochage et la disposition, main dans la main avec les commissaires pour qu'aucune œuvre ne soit isolée, qu'elle soit toujours en dialogue et en regard de celle qui la précède, de celle qui la suive, de celle qui la jouxte, explique le muséographe Adrien Gardère. Compte tenu de ce programme, aucune œuvre n'est accrochée au mur. On s'est libéré des murs pour investir le cœur de l'espace. » En effet, à Lens, la collection du Louvre semble libérée des contraintes du Palais royal parisien, libérée du poids de l'histoire qui pèse parfois sur la muséographie quand elle est emprisonnée dans les départements. A Paris, il faut parcourir des dizaines de salles pour profiter de la richesse encyclopédique des 35 000 œuvres exposées. Lens a une taille humaine. Il suffit de traverser la Galerie du temps avec ses 205 œuvres pour avoir une vision pertinente et transversale (peintures, sculptures, faïences, objets etc. sont mêlés) de l'évolution de l'histoire de l'art, d'une Idole aux yeux, en terre cuite, de la civilisation de Halaf en Syrie (3300 avant J.-C.), jusqu'à La Liberté guidant le peuple (1831) de Delacroix.
Une nouvelle image Quelque 150 millions d'euros ont été investis dans le Louvre-Lens. Et 15 millions d'euros coûtera annuellement l'entretien. Le tout est porté à 80% par la région Nord-Pas-de-Calais qui espère de reproduire l'effet du Guggenheim à Bilbao. Après l'abandon de l'industrie lourde, la ville basque se trouvait dans un marasme économique semblable à celui du Lens aujourd'hui. Avec exactement le même montant de 150 millions d'euros pour le musée ouvert en 1997, Bilbao s'est transformée en ville florissante. Guy Delcourt, le député-maire de Lens, fils et petit fils d'un mineur, espère aussi que le Louvre-Lens transformera sa ville en Lens-Louvre. « Notre nouvelle carte de visite est Louvre-Lens. Voici les valeurs particulières que nous trouvons à Lens : ici les gens sont gentils, accueillants, mais ils sont aussi bosseurs et travailleurs. Les gens ici se trouvaient dans un désespoir économique que le Louvre va nous permettre de combler. Chaque jour, on va découvrir la métamorphose de Lens. Lens aura une nouvelle vie, une nouvelle image. »
Le Louvre-Lens et le Louvre-Abou Dabi Le Louvre-Lens est jusqu'ici un parcours sans faute qui fait honneur à la France. Reste la question qui fâche. Le revers de la médaille Louvre-Lens est le Louvre Abou Dabi. « Cela n'a rien à voir » s'emporte Henri Loyrette. Pendant que le Louvre-Lens incarne la bonne conscience et une synthèse harmonieuse du Louvre, le projet du Louvre-Abou Dhabi (ouverture prévue en 2015) reste un sujet sensible qui pourrait entacher la réputation de l'institution française.
En 2007, les Emirats Arabes Unis se sont engagés à payer un milliard d'euros sur 30 ans pour l'exploitation de la marque Louvre. La coopération culturelle prévoit également que le Louvre organisera dans le musée à Abou Dabi 60 expositions et conseillera le cheikh Khalifa pour la constitution de sa future collection privée au Louvre-Abou Dabi. Certains conservateurs décrient une politique d'exportation et d'externalisation du patrimoine national et un conflit d'intérêt culturel majeur. On en est loin de la politique culturelle républicaine et exemplaire qui est à l'œuvre au Louvre-Lens. (MFI) * L'exposition d'ouverture : Renaissance, Révolutions dans les arts en Europe 1400-1530 aura lieu du 12 décembre au 11 mars 2013.