La classe politique et les masses populaires sont déchirées entre tristesse et consternation au lendemain de l'attentat survenu en plein jour, le 06 février, qui s'est soldé par la mort du politicien activiste de l'opposition Chokri Belaïd, lequel attentat politique a été condamné unanimement par tous et qui d'ailleurs a l'air de mettre le feu aux poudres, provoquant la colère des uns et l'indignation des autres, considéré par tous comme un tournant décisif dans l'histoire politique de la Tunisie et une nouvelle brèche dans le processus démocratique entamé depuis la Révolution du 14 janvier 2011. A l'heure où des milliers de citoyens, toutes tendances confondues, assistent avec tant de douleur aux funérailles du martyr de la Révolution Chokri Belaïd, nous avons contacté des hommes de culture et des artistes pour nous faire part de leurs sentiments envers cet événement douloureux, de leurs appréhensions et de leurs attentes quant à l'avenir proche et lointain de la Tunisie juste après ce premier assassinat politique perpétré au lendemain de la Révolution. Détournement de la Révolution Brahim Azzabi (artiste plasticien) : je pense qu'après cet attentat, la situation va de mal en pis ; la violence va s'installer davantage en Tunisie et ce, à cause de l'indifférence et la quasi absence de l'autorité du gouvernement provisoire qui a échoué dans toutes ses politiques à tous les niveaux. Cet attentat sera suivi d'autres encore si le peuple ne prend pas son destin en main et dire tout simplement à ce gouvernement « Dégage ! », c'est la seule solution de sauver la situation. C'est la mauvaise gouvernance des affaires publiques, la nonchalance des forces de sécurité et la politique de deux poids, deux mesures adoptée par le gouvernement provisoire qui a toujours fait la sourde oreille à maints cas de violence perpétrés auparavant dans le pays sans la moindre intervention ; ce gouvernement est en train de détourner la Révolution à son profit : établir une dictature islamique hostile à toute ouverture et tolérance envers la modernité et l'essor culturel. Moncef Mensi (artiste plasticien, président de la Chambre de Beaux-Arts à Paris et président des artistes sans frontières) : la situation où nous sommes actuellement est devenue déplorable, notamment avec l'attentat politique survenu récemment et dont les Tunisiens ne sont pas habitués. Pourtant, il faut mettre cet événement dans son contexte socio-culturel et géo-politique, sachant que la Tunisie a des frontières avec deux pays où la contrebande des armes est très fréquente, d'où la nécessité de prendre les précautions nécessaires d'empêcher l'entrée de ces armes dans notre pays, chose qui n'a pas été faite malheureusement par le gouvernement provisoire. L'assassinat de Chokri Belaïd en est la conséquence. Nous sommes gouvernés par des dirigeants qui ignorent l'histoire et l'art de gouverner qui, à force de s'accrocher au pouvoir, ont négligé les attentes et les doléances du peuple qui les a pourtant élus pour cette tâche ! C'est que depuis leur accès au pouvoir, on assiste à une escalade de la violence dont les acteurs sont restés impunis contre des dirigeants politiques, des artistes, des hommes de presse... cette violence qui a atteint son stade ultime, soit la liquidation corporelle de chefs de partis, a été malheureusement préparée par des adeptes de l'intolérance et de l'extrémisme religieux qui exhortent à la mort des personnes progressistes, taxées d'athées et de renégats, et ce à travers les mosquées, les réseaux sociaux, même dans les rues et les foyers. Ce qui nous amènerait vers une culture de violence ; les hommes de culture, chacun dans son domaine, pourraient contribuer à mettre fin à cette vague de violence qui s'ancre de plus en plus dans les esprits et j'ai confiance en mon peuple qui s'en sortira victorieux de ce combat contre les forces obscurantistes et rétrogrades. Quand les Tunisiens décident de sortir dans les rues, cela ne pourrait être que rassurant ! Contrecarrer les manœuvres des forces obscurantistes Abdessattar Abrougui (poète et peintre) : cet attentat politique lâche et abject est massivement condamné par les Tunisiens libres et partisans de la démocratie, de la tolérance et de l'ouverture. L'arme qui a touché mortellement Chokri Belaïd est braquée sur les valeurs apportées par la Révolution, soit la liberté, la démocratie et la dignité. Mais ces valeurs ne mourront jamais ; le peuple saura parfaitement comment les sauvegarder et conserver ses acquis déjà atteints depuis belle lurette. Les auteurs de cet attentat veulent nous faire entrer dans une guerre civile dans laquelle les Tunisiens s'entretueront et se déchireront, quoique nous ayons toujours été un peuple uni, pacifique et sans hostilités. Notre tâche, à tous, consiste désormais à faire de sorte à contrecarrer ces forces obscurantistes qui veulent semer la terreur parmi les citoyens pour atteindre leur but par la force des armes, étant hostiles à toutes les idées progressistes et démocratiques prêchées par la Révolution. Que chacun mette la main à la pâte (artistes, écrivains, ouvriers et toutes les forces vives du pays) pour stopper cette violence qui a atteint son stade suprême afin dec préserver une société démocratique sans violence où chacun pourra vivre en sécurité. Un acte contre les aspirations des Tunisiens Jalal El Mokh (écrivain et président de l'Union des Ecrivains Tunisiens, section de Ben Arous) : comme tous les Tunisiens j'ai été énormément touché par ce douloureux événement qu'est l'assassinat de Chokri Belaïd, mais en même temps surpris de recevoir une telle nouvelle douloureuse, d'autant plus que nous autres Tunisiens ne sommes pas habitués à de tels attentats politiques dont on entend parler sous d'autres cieux. Cependant, je ne peux que condamner cet acte affreux dirigé contre les forces progressistes et révolutionnaires. Nul doute que cet acte est l'aboutissement d'un scénario préparé d'avance par les forces occultes qui ne croient pas au changement démocratiques et se mettent contre les aspirations du peuple tunisien et de sa Révolution. Cet acte a été précédé par plusieurs atteintes aux libertés individuelles, perpétrées contre les artistes, les journalistes et les hommes de culture qui croient à des lendemains meilleurs. Cet acte affreux est l'aboutissement d'une pensée réactionnaire qui veut faire revenir la Tunisie, pays ouvert et tolérant, à l'époque du Moyen-âge. Les Tunisiens ont toujours l'espoir de vaincre ces forces obscurantistes et de réaliser ses rêves de liberté, de démocratie et de cohabitation pacifique entre toutes les tendances, les croyances et les idéologies. Il incombe à tous les Tunisiens de faire face à ces forces extrémistes pour atteindre les objectifs de la Révolution.