Décidément, le secteur de la Justice est depuis la Révolution, (ou la révolte populaire, appelez-la comme il vous sied) est parmi les domaines qui suscitent les polémiques les plus diverses et les plus controversées, notamment concernant les moyens tendant à l'asseoir et à la consolider. L'asseoir, car elle n'a jamais été établie durant l'ancien régime, malgré le fait qu'il ait été question de sa préservation dans la Constitution de 1959. Dans l'article 65 de cette dernière est proclamée en effet l'indépendance judiciaire et la soumission du juge à la seule autorité de la loi. Cependant les organes de justice ont toujours été par leur structure soumis à l'exécutif. La consolider a été de ce fait un vœu pieux, le chef de l'Etat à la tête du conseil supérieur de la magistrature. Cet organe a permis au pouvoir exécutif de s'immiscer dans le fonctionnement de la Justice. Une immixtion double : dans la carrière du juge, c'est-à-dire tout ce qui se rapportait à sa nomination, sa mutation, son avancement et sa sanction dépendaient de l'exécutif. Mais par ailleurs, l'exécutif, commandait également les décisions de justice, et ce, à l'aube de l'indépendance, notamment en ce qui concernait les affaires àcaractère politique. La première affaire, à l'occasion de laquelle la justice a subi l'ascendant de l'exécutif, fut celle des Yousséfistes, ayant abouti à la condamnation de Salah Ben Youssef ainsi que d'autres accusés à la peine de mort. Ce phénomène s'est de plus en plus accentué pour devenir flagrant sous Ben Ali, avec une immixtion de l'exécutif qui a atteint son paroxysme à l'occasion des affaires des extrémistes , condamnés en vertu de la loi anti-terroriste, loi remise sur le tapis après les récents évènements de Jbel Chaâmbi. Justice transitionnelle avez-vous dit ? Epurer le secteur de la Justice a été l'une des premières préoccupations tendant à consolider la réforme judiciaire. Pour le citoyen qui a bavé des injustices et des violations des droits les plus élémentaires, dont notamment la liberté d'expression, ce qui importe désormais qu'il puisse exercer normalementses droits en étant sûr de ne pas rencontrer d'entraves ni d'obstacles. Or pour cela il importe que le Juge soit libre impartial dans ses décisions qu'il rend en vertu de la loi et de son intime conviction. Ce qui ne peut se réaliser sans qu'il ne soit indépendant. Cela veut dire qu'il ne doit subir aucun ascendant ni aucune contrainte, quels qu'ils soient. Il ne peut rendre une décision avec cette épée de Damoclès, consistant à risquer sa carrière. Durant l'ancien régime, les juges qui refusaient de « collaborer », se retrouvaient souvent mutés à « Perpète les Oies » pour des « raisons de service » voire tout bonnement remerciés. Toutes ces décisions émanaient du fameux conseil supérieur de la magistrature. Instance provisoire de la magistrature : Entre approbateurs et contestataires Pour cette raison, l'idée de créer une instance provisoire qui a germé pendant près d'une année avec un projet de loi dans ce sens déposé devant la Constituante, a été enfin matérialisé, avec l'adoption de ladite loi par l'assemblée. Seulement les contestations des différents membres de la composante civile concernant la composition de cette instance, est-il de nature à servir l'indépendance de la Justice ? La question se pose d'autant plus qu'en attendant, et comme l'a souligné le président de l'observatoire, l'exécutif, continue à agir par le biais du conseil supérieur de la magistrature, tant que l'instance qui vient de naître, n'a pas été instituée de manière définitive et officielle. Ahmed Rahmouni, le président de l'observatoire pour l'indépendance des magistrats tunisiens a fait remarquer, communiqué paru la semaine dernière,que le ministre de la Justice vient de nommer au poste de procureur général, unilatéralement et sans requérir l'avis de qui que ce soit parmi le secteur les magistrats, ni procéder à une concertation avec les gens de justice concernés. Ce qui est atteinte certaine à l'indépendance de la Justice, a-t-il notamment fait remarquer. Le syndicat des magistrats compte bien, quant à lui, contester ladite instance par tous les moyens étant donné notamment sa composition. En effet certains membres n'appartenant pas au secteur judiciaire constituent une atteinte à l'indépendance de la Justice. Quant à l'association des magistrats, elle considère que c'est un pas positif. C'est dans la prochaine Constitution, qu'il importe de consacrer l'indépendance de la Justice, en instituant une structure plus efficace de nature à favoriser davantage cette indépendance tant souhaitée et la consolider d'une manière plus efficace. De son côté, l'ordre national des avocats a communiqué dernièrement au président de l'ANC la décision des hommes en robe noire, de ne pas collaborer avec l'instance provisoire de la magistrature. Réaction due à la nonreprésentation de ce secteur chargé de la défense des droits humains, au sein de ladite instance. Par la même occasion, le bâtonnier Chawki Tebib a déclaré qu'un blâme a été adressé aux avocats membres de l'ANC, qui n'ont pas défendu le rôle des avocats en l'occurrence. Mesure que certains autres avocats ont jugée inopportune voire abusive. La menace En attendant, les magistrats restent sur le qui-vive, avec toutes ces perturbations, et ces menaces dont ils ont été dernièrement l'objet. La semaine dernière, Kalthoum Kennou, présidente de l'association a déclaré qu'elle a trouvé sur son bureau une lettre de menace de mort. Comment cette lettre est-elle parvenue jusqu'à son bureau ? Dieu seul le sait ! A Sfax plus d'un magistrat a reçu des menaces de ce genre. Cela ne peut que nuire à la quiétude du magistrat, tenu de rendre ses décisions dans la sérénité et la paix. En pareille conjoncture on ne peut qu'espérer qu'il s'agit de cas isolés qui n'ont rien à voir avec cette majorité silencieuse, qui cherche surtout à vivre dans la paix, la sécurité, dans un pays où l'indépendance de la Justice ne sera plus un vain mot. Inchallah!