« Nous aimons notre loyauté pour la Tunisie, pour son drapeau, sa terre, son ciel, son eau, ses habitants, ses travailleurs, ses étudiants, ses chômeurs, chaque grain de son sable. » Chokri Belaid Parce que nous aimons ce pays de miel et d'amertume, nous aimons sa terre gorgée de chants d'amour, arrosée du sang des martyrs, de la sueur des travailleurs, des larmes de la désillusion et des chagrins recommencés, de la pluie bienfaisante qui enfante le jasmin et l'olivier, la coloquinte et la rose des fêtes. Nous aimons ce pays, ses orages stridents, ses vagues coléreuses, ses hivers glacés, le feu de son soleil, ses jours torrides, ses nuits longues et désespérantes, ses matins blêmes, ses terres arides, son ciel qui se voile, se couvre de nuages menaçants et étouffants. Mais, lorsque les jours deviennent lourds et interminables, lorsque l'horizon s'assombrit et semble s'abattre, lorsque la pluie pleure toutes ses larmes, lorsque nos gorges sont serrées à nous étreindre la poitrine, lorsque le chemin devient tortueux et torturé, nous nous rassemblons, nous nous prenons la main et nous enfantons un matin nouveau. Nous avons vécu les temps amers du silence et du mutisme, quand, muselés, oubliés et étrangers à ce pays, nous nous terrions pour survivre. Nous vivions sans vraiment vivre, exilés sur une terre devenue hostile que nous abandonnâmes à ceux qui nous ont spoliés. Les élections étaient une mascarade, les jeux décidés d'avance, les résultats connus. Alors, nous désertâmes les urnes et renfermés sur nous-mêmes, nous observions la comédie d'un œil indifférent. Nous avons vécu le jour des merveilles et les désillusions inattendues, mais, rassemblés et décidés à nous battre, à défendre cette terre qui nous est revenue. Le Chemin fut jonché de chardons et de ronces, les épines lacérèrent la poésie, l'art et la vie. Une longue errance recommença en quête de la pensée libre et souveraine. Quand les mots sont tus, fracassés contre les murs de l'indifférence, l'espoir s'amenuise, mais, il reste ce désir ardent de se battre contre les titans. Parce que, jamais, les barbares ne tueront la lumière, parce que nous refusons de nous agenouiller, de vivre selon leur dictat, parce que, pénélopes infatigables, nous retissons l'espérance, quand les malintentionnés défont ce que nous avons mis des années à faire, nous avons décidé de demeurer debout. Parce que la poésie nous délivre des appels mensongers du mirage, parce que, plus jamais, nous ne cèderons à leurs discours hideux et leur argumentaire fallacieux, nous choisirons notre destin. Elire pour rêver la vie, la reconstruire, la magnifier. Choisir pour forger un destin. Elire pour oser l'utopie, jusqu'au bout, malgré vents orageux et déferlants car la désespérance ensemence l'espoir et le nourrit de volonté, de détermination et de force. Choisir la lumière transparente du jour et non le linceul, choisir la palpitation des mots et non le silence, choisir ce qui unit, ce qui cimente, ce qui enchante, ce qui fait rêver et aimer et non les pièges meurtriers. Choisir pour pousser les murs de toute oppression, pour rester maîtres de notre devenir, pour s'agripper à cette liberté durement gagnée, quelles que soient les menaces présentes et futures. Choisir pour que le verbe soit libre et le rêve possible. Choisir, malgré le parcours chaotique, les mille obstacles, car la délivrance est douloureuse, longue et pénible. Choisir pour la postériorité, pour ceux-là qui attendent le jour, pour les rires cristallins des enfants et le regard illuminé des adolescents. Choisir pour que, plus jamais, un jeune ne s'immole parle feu par désespérance. Choisir pour que plus jamais, un jeune ne cède à l'appel du large et ne se jette dans les flots pour atteindre une rive illusoire. Choisir pour que, plus jamais, un jeune ne devienne assassin de son frère et ne parte se battre pour une cause perdue. Choisir pour que, plus jamais, une mère, une sœur, une enfant, une épouse ne souffre l'enfer de l'assassinat de l'être aimé. Choisir pour que les larmes cessent, que les roses repoussent. Choisir pour qu'un jour, enfin, nous toucherons les étoiles.