Cela fait un bon bout de temps que les juges ont appelé à revoir la sécurité des tribunaux sous l'autorité du parquet. Les agents des forces de l'ordre chargé d'assurer la sécurité des juges font de leur mieux, mais devant la recrudescence du terrorisme le pire est à craindre. Hier, les accusés dans l'affaire Chokri Belaïd ont refusé de comparaître, sous prétexte que le « tribunal représente les Taghouts ». Qui sont ces derniers ? Eh bien, selon le raisonnement des terroristes, ce sont aussi bien les forces de l'ordre que les juges. Bien plus l'un des avocats de la partie civile, a été surpris de voir inscrit sur le pare-brise de sa voiture ce terme de « taghout », expression fourre-tout qui constitue le prétexte à des actes de barbarie et de violence perpétrés par les terroristes C'est ce qui a suscité la polémique entre les magistrats et la police, autour des dossiers du terrorisme. Les policiers déplorent que des personnes soupçonnées de terrorisme soient relâchées par les magistrats, après avoir été arrêtées par les agents de l'ordre. Les magistrats affirment de leur côté que les dossiers transmis aux tribunaux ne contiennent pas d'éléments suffisamment tangibles pour procéder à leur inculpation et leur mise en détention. Le chef du gouvernement qui a appelé les magistrats à une meilleure diligence dans le traitement des dossiers relatifs au terrorisme, a suscité davantage la polémique concernant cette question, les juges ayant interprété cet appel comme un reproche à leur encontre alors qu'ils sont exposés aux risques du terrorisme au même titre que les agents des forces de sécurité. C'est ce qu'a affirmé Mourad Messaoudi président l'Organisation des jeunes magistrats dans son dernier communiqué, en déplorant qu'aucune mesure n'ait été prise par le gouvernement dans le but de renforcer la sécurité dans les tribunaux et notamment au Pôle judiciaire qui traite les dossiers du terrorisme. Selon certains observateurs le laxisme a commencé depuis les actes de violence perpétrés par Ansar Al shariâa, en laissant fuir son leader, Abou yadh. La présence des forces de l'ordre est certes de plus en plus renforcée dans les lieux publics et les administrations de l'Etat. Les tribunaux nécessitent selon les magistrats une meilleure sécurisation, car il y va de la sécurité des justiciables. Or ce que reprochent les magistrats au chef du gouvernement, c'est l'absence de concertation avec le secteur de la magistrature en ce qui concerne les moyens à prendre désormais afin que les juges puissent remplir leur fonction dans les conditions les plus favorables. Depuis la visite effectuée par l'ancien ministre de la Justice, il n'y a eu aucun contact des magistrats par le gouvernement, Les magistrats déplorant qu'en pareille conjoncture, il n'y a pas de ministre de tutelle, puisque c'est le ministre de la défense qui est chargé de la Justice par intérim. Ils estiment par là même qu'on ne s'occupe pas assez d'eux. En d'autres termes, les magistrats, notamment ceux qui s'occupent des dossiers du terrorisme, craignent pour leur propre sécurité, leur vie, voire celle de leurs familles. Mesures particulières La sécurité dans les tribunaux doit-être renforcée selon tous les magistrats qui estiment qu'ils sont exposés au danger du terrorisme autant que les forces de l'ordre si ce n'est davantage. D'autant plus que certains juges ont été attaqués, à l'instar du juge d'instruction à Sousse agressé au mois d'octobre dernier par le frère d'un suspect, acte que le ministère de la Justice a qualifié d'atteinte au prestige de la magistrature. Le ministère s'est engagé à mettre en place un plan sécuritaire pour assurer la protection des magistrats en coordination avec le ministère de l'intérieur. Cependant, et depuis le départ du ministre de la Justice, il n'y a pas eu de progrès dans ce sens, selon la plupart des magistrats, qui désormais craignent le pire. Le sort des juges qui ont été la cible des terroristes ou de la mafia de par de le monde, est connu de tous, à l'instar du juge Falcone en Italie ou du juge Michel en France. C'est justement la grande crainte des juges, que ce soit ceux du pôle judiciaire, spécialistes des dossiers du terrorisme, ou ceux qui siègent à travers les chambres criminelles de tous les tribunaux de la République. Les magistrats font appel à tous les présidents des tribunaux ainsi que les procureurs de la République, afin de prendre eux-mêmes des mesures de sécurité plus efficaces, et de mieux préserver la sécurité des magistrats, surtout que ces mesures seront largement motivées par l'état d'urgence décrété depuis le dernier attentat contre les 12 agents de la garde présidentielle. Loi antiterroriste L'ARP a adopté dans le 24 juillet une nouvelle loi antiterroriste qui donne des pouvoirs discrétionnaires à la police, dont notamment la garde à vue qui peut se prolonger jusqu'à 15 jours. Cependant le juge ne peut décider de la culpabilité du prévenu que selon les éléments du dossier. Mais la loi n'a rien prévu de particulier pour la sécurisation juges. C'est à plus forte raison que les magistrats demandent à être mieux sécurisés, tant au sein du prétoire qu'en dehors de l'enceinte du tribunal, par des mesures efficaces, afin de pouvoir exercer leur fonction en leur âme et conscience et dans le respect de la loi et des droits humains.