« Bribes d'histoires » est une rubrique hebdomadaire qui traitera chaque mois d'un thème unique sous différents angles. Pour cette première série d'articles et à l'occasion du mois de ramadan, le choix s'est porté sur les mosquées de Tunisie, lieux de culte dont la fréquentation est accrue durant ce mois saint. Le troisième article, après ceux consacrés à la mosquée Zitouna de Tunis et celle de Testour, retrace quelques bribes de l'histoire de la grande mosquée de Kairouan, l'un des plus anciens et illustres lieux de culte musulman. Il y a quelques jours, la ville de Kairouan célébrait, en grandes pompes, la commémoration de la révélation du coran, il y a de cela 1450 ans. L'événement a eu lieu mercredi dernier, 17ème jour du mois de Ramadan. Il a rassemblé politiciens, hommes de religion et récitateurs du Coran d'ici et d'ailleurs. A l'occasion de cette cérémonie, la Grande mosquée de Kairouan a revêtu ses plus beaux atours, flamboyant de mille feux et accueillant dans sa cour un iftar collectif géant en l'honneur des convives. Parmi les hôtes, le ministre des Awqaf et des affaires religieuses palestinien mais aussi l'imam de la mosquée Al-Aqsa. Un jumelage a d'ailleurs été scellé ce soir-là entre la Grande Mosquée de Kairouan et celle du Haram Ibrahimi (sanctuaire d'Abraham), datant d'avant Jesus Christ et située dansla vieille ville d'Al Khalil. Cet accord portera notamment sur des projets de coopération intellectuelle et spirituelle et comprendra des visites mutuelles confirmant, selon les dires du ministre des Affaires religieuses tunisien, « le rôle du Coran dans la lutte contre l'extrémisme ». Une histoire plus que millénaire La Grande Mosquée de Kairouan est également appelée mosquée Okba Ibn Nafaâ, du nom de son bâtisseur et fondateur de Kairouan dont le nom signifie caravansérail. Située à 150 kilomètres au sud-ouest de Tunis et surnommée « Capitale des Aghlabides », cette ville est le berceau du sunnisme dans la région. Elle est considérée par certains comme la 4ème ville sainte de l'Islam. Kairouan est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1988. Sa grande mosquée est située dans la partie nord-est de la médina, implantée précisément dans le quartier intra-muros de « Houmat al-Jâmii ». Son emplacement n'est pas anodin puisque Okba Ibn Nafaâ Al Fehri a opté pour le centre, un emplacement stratégique de la cité, à proximité du siège du gouverneur et du campement de ses armées. Elle figure parmi les plus anciens lieux de culte musulman dans le monde et est la première mosquée du Maghreb. En effet, c'est en 670, soit en l'an 50 de l'Hégire, que les travaux de construction ont commencé. Ils dureront presque cinq ans. Le bâtiment initial sera malheureusement détruit puis reconstruit quelques années plus tard et connaîtra au fils des siècles et des dynasties de nombreux travaux de rénovation et d'extension. L'actuelle mosquée couvre aujourd'hui une superficie de 9000 m2, s'étendant sur une longueur de 125 mètres et une largeur de 73 mètres. Elle abrite une grande cour dallée de pierre d'un côté et pavée de marbre blanc d'un autre. Elle est accessible via 6 accès. Quadrangulaire, trois de ses quatre côtés sont entourés de portiques à plusieurs alignements d'arcades soutenus par de très vieilles colonnes de marbres divers, de granite ou encore de porphyre. Les chapiteaux, pour la plupart récupérés de sites antiques romains et byzantins et retaillés à l'occasion, arborent des styles décoratifs distincts représentants des figures animalières, des décors végétaux ou encore des détails architecturaux élaborés. Un bijou architectural unique et historique Le minaret se dresse quant à lui du côté nord de la cour, au milieu de la façade septentrionale, en face de la salle de prière. Haut de 31,5 mètres, le plus haut du Maghreb, il repose sur unebase carrée, caractéristique de son époque et de l'architecture ifriqiyenne, surmontée de deux autres niveaux et d'une coupole. Certains historiens estiment qu'il a été construit à la fin du 8ème siècle et d'autre au milieu du 9ème. Il a été rénové et agrandi à deux reprises. Si la date exacte de son édification reste difficile à établir, deux certitudes toutefois : sa construction est postérieure à celle de la mosquée initiale bâtie par Okba Ibn Nefaâ et il est actuellement le plus ancien minaret au monde encore in situ. Dans l'un de ses écrits, le poète autrichien Rainer Maria Rilke en parlera en ces termes: « Existe-t-il un modèle plus beau que cette vieille tour, le minaret, encore conservé de l'architecture islamique ? Dans l'histoire de l'art, son minaret à trois étages est considéré comme un chef-d'œuvre et un modèle parmi les monuments les plus prestigieux de l'architecture musulmane. » Quant à la salle de prière, elle est accessible via 17 entrées. Elle abrite un mihrâb indiquant la qibla (direction de la Mecque). Datant du 9ème siècle, il serait l'un des plus anciens modèles en concave. Surmonté d'une demi-coupole en bois peint et encadré par deux colonnes, il associe céramique lustrée, marbre sculpté et bois peint. Sa finition est d'une beauté rare.A droite dumihrâb se trouve un minbar d'origine datant également du 9ème siècle. Il est constitué de onze marches et de parois parallèles en bois de teck importé d'Inde. Ce joyau datant de plusieurs siècles, pièce ornementale unique avec ses 300 pièces sculptées et assemblées traduisant un minutieux travail d'ébéniste est la plus ancienne chaire connue du monde islamique à exister encore. De par son architecture unique, harmonieuse et élaborée, la Grande Mosquée de Kairouan a fasciné et fascine encore historiens, architectes, hommes de religionet auteurs de renom. Avec son haut minaret, ses coupoles, ses différents accès, ses tours et son bastion, elle se dresse, depuis la nuit des temps,telle une forteresse, défiant les années, les siècles et les époques, gravant son nom en lettres d'or dans l'Histoire du monde arabo-musulman. Elle figure d'ailleurs, comme mentionné dans le décret beylical du 13 mars 1912, sur la liste des monuments historiques et archéologiques classés et protégés en Tunisie. Joyau architectural, haut lieu historique de culte et de spiritualité, elle symbolise la grandeur et la pérennité de sa ville, Kairouan. Kairouan l'éternelle, l'indomptable, berceau de l'Islam sunnite et carrefour des civilisations.