Le jury chargé de la sélection et de la désignation des candidats aux prix décernés annuellement par le journal "l'Expert" pour le manager de l'année 2016 a décidé l'octroi de ce prix à monsieur Mohammed Sahbi Mahjoub (Société SADIRA) Chacune des précédentes éditions a été l'occasion de saluer des managers remarquables de créativité ou de pragmatisme, exemplaires par leur expertise et leurs qualités humaines, des managers qui se sont distingués en menant à bien des projets d'envergure dont les bénéfices pour les citoyens se mesurent chaque jour. Afin d'avoir de plus amples détails sur la société SADIRA monsieur Sahbi Mahjoub nous a aimablement accordé cette interview. Genèse de SADIRA J'ai commencé ma carrière comme ingénieur en industries alimentaires dans une société filiale de la BANQUE de Développement Economique de Tunisie (la BDET). J'ai participé à la création de trois usines de boissons gazeuses à Ben Arous, Sfax et Monastir. Expérience très enrichissante. En 1981, j'intègre la BDET pour m'occuper au sein de la Direction Développement du secteur agroalimentaire. C'est l'époque où on lance les SMVDA pour la mise en valeur des terres domaniales. Les premières SMVDA sont des mastodontes institutionnels exclusivement financés par des organismes financiers publics tunisiens ou étrangers, le changement est peu significatif. Après 6 ans de financement et suivi de projets agricoles et agroalimentaires, je propose avec Hedi Jebnoun la création de la première SMVDA privée SADIRA pour la mise en valeur de la ferme SIDI SAAD de 300 hectares à Mornag. Après un non catégorique, et grâce a l'appui décisif des banques au bout d'un an et demi, un compromis est trouvé. SADIRA est créée en juin 1987 avec une majorité de capital, détenue par les banques à 53%. La participation des banques n'est retrocédable aux privés qu'après cinq ans et la réalisation du projet et des engagements d'embauche. Ce qui fut fait. SADIRA créée pour investir un million de dinars est aujourd'hui à plus de quinze millions de dinars et emploie quarante cinq cadres universitaires. Son effet de rayonnement par l'introduction de nouveautés techniques et variétales est reconnu dans toute la Tunisie. SADIRA investit dans plusieurs régions de la Tunisie (Ben Arous, Béja, Sidi Bouzid, Kairouan, Gabès, Nabeul et Kasserine. Elle gère avec ses filiales 700 hectares et est associée dans 400 autres hectares. LES DEFIS La Tunisie a tout pour avoir en permanence une balance alimentaire excédentaire ou, pour le moins, équilibrée. La Tunisie malgré sa petite taille a un climat très diversifié qui lui permet d'avoir une gamme de production très large et compétitive. Placé au milieu de la Méditerranée, notre pays peut et doit être un carrefour. Comme il l'a été dans l'histoire. Il faut donc reprendre cette place. Pour cela, il faut faciliter les échanges avec tous nos voisins du Nord, Sud, Est et Ouest. N'en déplaise à quelques politiques qui devraient se pencher sur nos 3000 ans d'histoire. Il ne faut pas remplacer le sabre par la faucille. Il faut encourager les cultures compétitives adaptées à notre climat et préserver notre environnement tout en négociant leur écoulement sur les marchés intérieurs et extérieurs. Aujourd'hui, on encourage pareillement tout et partout alors que l'UE, notre principal débouché, nous augmente régulièrement les taxes, contrairement à nos pays voisins. Sans réaction de nos gouvernants. Des accords d'échange et encouragements des investissements créeraient (à l'image du Maroc) des milliers d'emplois en drainant des investissements de locaux et étrangers dans les zones défavorisées ( Sidi Bouzid, Gafsa, Gabès, Kasserine, Tozeur, Kebili, Médenine, etc.....). Ces emplois, en plus d'être dans les zones défavorisées, nécessitent beaucoup moins d'investissement par emploi créé. Pour relever les défis, notre agriculture a besoin d'un financement adapté. Le crédit bancaire aujourd'hui est réduit à sa proportion congrue. Il faut que le remboursement soit conforme à l'entrée de production. Pour cela, il faut que les banques disposent des ressources adaptées. Arrêtons d'effacer la dette des agriculteurs en encourageant ainsi les petits agriculteurs aux dépens des grands agriculteurs qui, a leur tour, ne paieront plus. C'est un cadeau empoisonné au secteur. Il faut réformer l'enseignement et la recherche. Nos jeunes diplômés sortent des instituts la tête pleine mais sans connaissance pratique parce qu'ils ont très peu pratiqué le terrain. L'expérience du terrain est indispensable pour travailler dans une petite ou moyenne exploitation. Il faut délocaliser les instituts en dehors des centres villes et les charger de la formation continue pour un recyclage. La recherche, mis à part la fondamentale, doit être beaucoup plus près de la profession. Beaucoup de pays ont eu d'excellents résultats en confiant la vulgarisation et la formation continue à l'enseignement et la recherche créant ainsi un lien permanent avec la profession et une mise a niveau permanente des enseignants, chercheurs et, bien entendu, les producteurs. Il faut trouver une solution pour le problème foncier, principal frein au développement. Les régions de Regueb et Bousalem sont développées parce que le tribunal immobilier y a mené des expériences pilotes pendant les années 70. Un contrat d'achat permet d'avoir un titre foncier en quelques semaines. Ailleurs, très souvent, cela demande des années ou parfois il faut abandonner à cause des nombreux litiges. Beaucoup de pays ont surmonté le problème foncier en le séparant du droit d'exploitation. A l'image du fonds de commerce, le bail agricole peut valoir plus que le prix de la terre si l'exploitation est rentable en empêchant en même temps le morcellement. Un local commercial n'est jamais morcelé par les héritiers lesquels gèrent eux-mêmes ou se partagent les recettes de location du fonds de commerce. Cela dans le total respect de nos principes religieux. Le développement de notre agriculture ne peut être mené exclusivement par le secteur privé. Ce dernier ne peut être que le relais d'un effort national. Pour illustrer cela, parlons de la FONDATION CHILI (FC). Cet organisme public privé doté des fonds nécessaires a été à l'origine du développement chilien, entres autres l'agriculture. Voici l'histoire de la pomme du Chili aujourd'hui mondialement connue. Un bureau d'études a identifié parmi les opportunités de planter de la pomme au Chili. FC a contacté tous les intervenants du secteur pour identifier les variétés et le mode de conduite. Suite à cela, FC a planté quelques centaines d'hectares avec le suivi des meilleures compétences mondiales. A l'entrée en production, FC a construit une station fruitière d'une capacité de 50 000 tonnes qui valorise toute la pomme (fruit frais, jus, compote, poudre, ect...). En parallèle, FC a fait la promotion de la pomme chilienne en Amérique du nord, Europe et Asie avec des budgets conséquents. En même temps, le gouvernement négociait les accès aux marchés. La réussite a été brillante. Suite à cela, FC a tout vendu au secteurs privés chilien et étranger pour s'occuper d'autres développements. La pomme occupe aujourd'hui des dizaines de milliers d'hectares. La production se chiffre en millions de tonnes. Le même processus a eu lieu pour le saumon, le vin, le raisin, la cerise, etc.... Jamais un privé, quel qu'il soit, n'aurait réussi cela. Il faut promouvoir le label Tunisie, outil indispensable pour développer note agriculture à l'image de Cape, Chile, Cape, California. Un logo pour le produit tunisien avec des exigences de qualité supérieures ou égales ou internationales permettra la promotion de tous nos produits. Aujourd'hui, nous avançons en ordre dispersé (maltaise de Tunisie, Dattes de Tunisie). Cela est plus prioritaire que les IGP ou AOC qui n'ont de sens que si le pays est connu et inspire confiance. Agriculture de demain Il ne faut pas réinventer l'eau tiède.Inspirons-nous des pays qui ont réussi : Californie, Chili, Afrique du Sud, Pérou, Maroc. D'abord il faut s'assurer un minimum d'indépendance de productions stratégiques : Céréales, lait, viande, tomate, pomme de terre, etc…en sélectionnant le type de culture adapté. On devra négocier des ouvertures de marché et promouvoir le label Tunisie localement et internationalement. De même, il faut encourager des cultures compétitives en créant ou étendant des bassins de production. La réussite s'obtient avec la spécialisation et la concentration. L'enseignement, la recherche et la vulgarisation doivent reprendre leur rôle de leader.