Tahar Belkhodja, ancien ministre de l'Intérieur du défunt président Habib Bourguiba, a accordé une interview exclusive à TunisieNumérique, mercredi 13 juin 2012. Dans cette deuxième partie de l'interview, il analyse l'Initiative de Béji Caïd Essebsi, et il expose son point de vue sur les prochaines élections en Tunisie. Il constate avec une certaine inquiétude qu'au vu de la situation actuelle, aucun parti politique ne pourra se préparer convenablement dans le délai des six mois restants pour affronter les prochaines élections dans des bonnes conditions. En effet, il faut que les partis disposent de structures et d'organisations «bien huilées» avec des militants motivés qui ont de profondes convictions. Le parti Ennahdha a mis dix ans pour arriver à ce stade. Pendant 15 ans, il a constitué ses 400 cellules dans tout le pays. Les Destouriens et les ex-RCDistes ne sont pas une alternative face à Ennahdha D'après lui, il faut bien accepter certaines réalités, « je ne crois pas que les Destouriens et les ex-RCDistes, peuvent constituer demain une force de frappe face à Ennahdha», affirme-t-il. Habib Bourguiba avait du charisme et une grande force de conviction, par contre Ben Ali s'est imposé par la terreur, ajoute notre interlocuteur. Une minorité de dirigeants a manipulé et contrôlé le parti au pouvoir, la majorité des adhérents «2millions », étaient des « pauvres gens» qui ont adhéré au parti pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Actuellement, ces mêmes adhérents ont intégré d'autres nouveaux partis en fonction de leurs besoins, précise-t-il. Par ailleurs, pour équilibrer les pouvoirs, il faut qu'il y ait un parti politique bien structuré qui pourra constituer une alternance au pouvoir actuel. L a polémique stérile entre obscurantisme et modernisme Au cours de la campagne électorale du 23 octobre 2011, Néjib Chebbi a utilisé l'argument du modernisme face à l'obscurantisme d'Ennahdha, mais cette stratégie n'a pas été payante. Par conséquent, si l'Initiative de Béji Caïd Essebsi reprend la même stratégie, elle échouera à nouveau. Pour que l'Initiative de Caïd Essebsi remporte les élections, les responsables doivent concevoir un programme de gouvernement bien chiffré pour pouvoir convaincre les électeurs, avec des délais prévus et des obligations de résultats. « Un parti politique qui se respecte doit d'abord commencer par exposer les grands problèmes du pays avec des solutions chiffrées et applicables immédiatement», ajoute Tahar Belkhodja. Les citoyens adhéreront à cette méthode si les partis politiques se limitent à une compétition politicienne entre eux, ils seront rejetés par les électeurs. Les partis politiques n'ont pas le droit de s'engager dans des luttes de politique politicienne sinon cela renforcera le laxisme existant, les vrais problèmes du pays seront négligés et au final c'est Ennahdha qui gagnera à nouveau. Une coalition entre des partis différents peut-elle gagner les élections ? Pour réussir une coalition, il faut préciser les choses avant les élections et non pas après. Selon Tahar Belkhodja, la répartition des pouvoirs ne doit pas être décidée après les résultats des élections, en effet, des accords doivent être négociés et élaborés avant les élections. Chaque parti politique de la coalition doit exposer ses idées et présenter son programme chiffré. Si les idées et les programmes sont compatibles entre eux, une coalition est alors possible. Pour garantir la transparence, les partis politiques doivent présenter leurs projets ensemble et les exposer devant les citoyens, associer les médias pour qu'il y ait des débats, pour éclairer les électeurs qui décideront en connaissance de cause. Une coalition est possible sur la base d'un programme commun, c'est le seul moyen pour pouvoir gagner les élections, sinon la population tunisienne sera « bernée » et le pays entrera dans une impasse. L'Initiative de Caïd Essebsi est-elle la seule alternative face à Ennahdha ? Taher Belkhodja, explique à TunisieNumérique, qu'en réalité l'initiative de Béji Caïd Essebsi n'est pas seule face à Ennahdha, il existe d'autres initiatives telles que les militants de l'UGTT, qui ont joué un rôle important durant la Révolution, l'initiative des Destouriens, et l'Initiative du parti « Elbaath »... Par contre, Ennahdha a un socle électoral solide, et ses militants sont motivés et actifs, ce qui lui assure une certaine cohérence politique, par rapport à l'Initiative de Caïd Essebsi surtout après la décision de retrait de Omar S'habou. Sans un programme politique commun avec des solutions bien chiffrées, une coalition risque d'aboutir à un assemblage de partis qui vont se déchirer dans des querelles internes, et par conséquent perdre les élections. « On ne peut pas se permettre en Tunisie de faire une deuxième mauvaise expérience électorale après la «surprise» des élections du 23 octobre 2011», conclut Tahar Belkhodja.