Société: L'impasse du modèle tunisien * Par Said Mekki * La bonne gouvernance économique tunisienne louée par les institutions financières n'est qu'un leurre, affirme un site basé en Algérie. Les récents troubles partis de la ville de Sidi Bouzid, dans le centre de la Tunisie, ont révélé au monde l'envers du décor de carte postale souvent associé au pays du jasmin. Il est apparu aux yeux d'un monde plutôt surpris que les indéniables progrès économiques de la Tunisie ne profitaient pas à tous et ne parvenaient pas à réduire le nombre de chômeurs, qui se recrutent de plus en plus dans les rangs des diplômés. Face à l'absence de perspective et à l'arbitraire, le désespoir des jeunes s'exprime de manière atroce. Celui par qui tout a commencé est un jeune chômeur de 26 ans qui s'est immolé par le feu en criant: Non au chômage! Non à la misère! Le modèle tunisien célébré par le Fonds monétaire international (FMI) et les agences de notation financière aurait-il atteint ses limites? C'est en tout cas ce que pensent beaucoup d'économistes, dont le Pr Lahcen Achy, du Carnegie Middle East Center, qui, dans un article publié le 28 décembre dernier par le Los Angeles Times, considère que la dépendance excessive de l'économie tunisienne à l'égard du marché européen est la raison principale du blocage actuel. La spécialisation de l'économie tunisienne dans des secteurs à forte intensité de main-d'uvre peu qualifiée semble avoir fait son temps. De ce point de vue, la Tunisie est concurrencée directement par les pays d'Asie. Elle en souffre d'autant plus que la structure de son marché du travail s'est modifiée. La proportion de demandeurs d'emploi titulaires d'un diplôme universitaire est passée de 20% de la population active en 2000 à plus de 55% en 2009 ! Selon Lahcen Achy, la Tunisie affiche l'un des taux de chômage les plus élevés des Etats arabes: plus de 14% au niveau national et 30% pour la tranche d'âge 15-29 ans. La situation ne devrait pas connaître d'amélioration sensible tant que le taux de croissance, de l'ordre de 3,8% pour 2010, restera en deçà du seuil des 5%. La concentration des échanges avec l'Europe place la Tunisie dans une situation de dépendance critique, les retournements de conjoncture et la reprise très molle de la croissance en Europe affectent directement les performances économiques du pays. Cela vaut aussi bien pour le secteur du textile que pour celui du tourisme de gamme intermédiaire, les secteurs d'activités les plus significatifs en termes de revenus externes. Les solutions ne sont pas nombreuses. Le développement de nouveaux secteurs susceptibles d'employer les cadres de haut niveau bute sur les réticences des entrepreneurs tunisiens rebutés par l'opacité et le déficit d'Etat de droit à se risquer dans des créneaux d'investissements plus complexes et donc plus risqués. Les investissements dans des secteurs à forte valeur ajoutée se heurtent à la concurrence féroce d'économies mieux armées et disposant d'une expérience autrement plus affirmée. La réorientation de l'économie tunisienne vers d'autres marchés est une démarche à moyen et long terme dont les résultats ne sont pas garantis, tant les avantages comparatifs de la Tunisie sont battus en brèche par des compétiteurs redoutables, en Asie et au Moyen-Orient. La crise du modèle tunisien est riche d'enseignements pour les pays de la région. La relative bonne gouvernance économique tunisienne ne suffit pas à installer une dynamique sociale vertueuse. La solution pourrait se trouver dans la stimulation du marché intérieur, mais son étroitesse limite fortement les marges de manuvre. Une sortie par le haut de cette impasse passerait par une réorientation vers le marché maghrébin et la coordination des stratégies macroéconomiques régionales. Mais cela ne semble pas être à l'ordre du jour dans un Maghreb plus que jamais virtuel. http://www.courrierinternational.com/article/2011/01/22/l-impasse-du-modele-tunisien *