Le jugement sur la dissolution du RCD aurait été préparé au siège de l'Association des Juges avant même qu'il ne fût prononcé au sein du Tribunal! Est-ce une justice expéditive que nous attendions après la révolution? Ou sereine, responsable et capable de juger les faits sans prise de parti, en toute objectivité et dans le respect de la justice et de l'équité? «Je suis choquée par la rapidité avec laquelle le jugement a été rendu, car du coup, nous avons, nous Tunisiens, été privés du droit de découvrir tout l'historique du Parti-Etat, des exactions qui ont été perpétrées par nombre de ses membres, des infractions commises en son nom et de tous les abus dont il a été responsable et qui ont été accomplis au nom des hauts intérêts de l'Etat». C'est ainsi que Me Bochra Belhadj Hamida a commenté le jugement rendu par le Tribunal de Première instance de Tunis et approuvé en appel. Ce jugement hâtif, qui a suscité l'euphorie des passionnés, et celle des révolutionnaires et qui a, peut-être servi les intérêts de RCDiste eux-mêmes, aurait en effet coupé court à une instruction qui aurait dû durer des mois et qui aurait permis de lever le voile sur certains faits et pratiques interventionnistes et abusifs qui avaient été banalisés par un appareil d'une telle complexité et force, qu'il aurait été difficile à démanteler si ce n'eut été la révolution. Le RCD ex-PSD- a pendant des années profité de la légitimité historique que lui avait procuré la lutte contre la colonialisation française et pour la libération nationale pour s'ériger en juge et parti, qui décidait de tout, qui empêchait à tous ceux qui n'y adhéraient pas d'accéder aux hauts postes de l'Etat et punissait ceux qui protestaient contre son hégémonie en les privant de leurs droits de citoyens et parfois de prison. Nous n'irons pas jusqu'à dire que tous les adhérents au RCD, jadis PSD, sont des corrompus. Parmi eux, il existe certainement des personnes honnêtes qui l'ont intégré par conviction et qui n'ont pas profité de ses largesses. Elles ont malheureusement été les victimes d'un grand nombre d'opportunistes et de corrompus qui y ont fait la loi pendant des décennies. Le RCD rackettait au même titre peuple et classe d'affaires pour pouvoir réaliser ses campagnes électorales, acquérir ses «dons» qu'il offrait ensuite à la population pour la convaincre du bien-fondé de son existence, de sa générosité et de son amour pour la patrie. Comment a-t-il pu construire l'un des plus beaux et des plus grands sièges qui puisse exister dans le monde? Et par quels moyens? Quelle est l'origine de tous ces fonds et comment a-t-il opéré? Que savons-nous aujourd'hui des milices du RCD? Que savons-nous des soi-disant armes utilisées après la révolution? Que savons-nous de ses petites cellules de renseignement qui lui permettaient de prendre le relais sur les renseignements généraux et la police politique dans les grands groupes et les administrations publiques? Que savons-nous de ses pratiques, de son mode organisationnel et de son fonctionnement? Grâce à la «célérité» de nos chers juges et à l'emportement de nos chers «révolutionnaires», nous ne connaîtrons pas les réponses de sitôt! Pourquoi toute cette précipitation? N'aurait-il pas mieux fallu attendre que des enquêtes et des investigations soient ouvertes pour que nous puissions cerner les responsabilités, comprendre les tenants et les aboutissants, savoir qui a fait quoi? Notre justice a encore un long chemin à faire avant de retrouver la sérénité qu'il faut et le recul nécessaire qui lui permettront de juger dans l'équité, l'objectivité et la crédibilité. Mais plus important encore, pour que la justice devienne indépendante, il faut arrêter l'interventionnisme de l'Etat et mettre fin à celui du Conseil de protection de la Révolution, créé juste après le 14 janvier. Les juges et magistrats, loin de garder leur droit de réserve et de se limiter à être les garants du respect de la justice et de la loi, essayent de se mêler de politique, de gouvernement et d'exécutif. Est-ce leur rôle? L'urgence aujourd'hui est à une remise en question sérieuse de la situation de la justice. Car il faut croire dur comme fer que la loi et l'équité doivent être au dessus de tout, même si elles doivent innocenter un ennemi!