Pourquoi le livre tunisien vit-il un mauvais quart d'heure ? Pourquoi nos théâtres sont-ils en difficulté ? Pourquoi notre cinéma fait-il du surplace ? Pourquoi notre chanson va mal ? Pourquoi notre peinture stagne, pourquoi notre photo broie-t-elle du noir ? Pourquoi nos chorégraphes ne savent plus sur quel pied danser ? Pourquoi plus aucun prix, plus aucune palme, plus aucune distinction, plus aucun rayonnement du produit culturel tunisien ? Pourquoi, en deux mots, notre culture est-elle aux abonnés absents? La réponse est simple: il n' y a pas de liberté, donc il n'y a pas de culture. Il y avait de la culture quand, fin soixante-dix, début quatre-vingt, un vent de liberté a soufflé sur la place. C'était au temps des fameuses élections législatives de 81, avec tous les partis qui y prenaient part, tous les journaux, tous les débats, tous les mouvements et toutes les associations qu'elles ont engendrées. C'était le bon vieux temps de la pluralité. Les troupes fleurissaient, Théâtre Phou, Nouveau Théâtre, Théâtre Organique, Théâtre de la Terre, pour ne citer que ceux-là. Les salles de cinéma affichaient complet. Les ciné-clubs étaient des dômes de débat. La chanson engagée faisait l'unanimité. Les gens participaient, lisaient les journaux, allaient le soir au théâtre, discutaient dans la rue, participaient aux conférences. Dans les soirées poétiques, les ténors du verbe jouaient à guichets fermés, les jeunes étaient là à les écouter, assis sur les marches ou accroupis, au pied de la scène. La STD, Société tunisienne de diffusion, vendait les disques de Cheikh Imam et de Jean Ferrat. Le bon peuple vivait ce bonheur et y participait, en écrivant, en produisant et en se délectant des mille et un spectacles. C'était une époque formidable. Et puis, petit à petit, finie la récréation. Le communisme fait machine arrière. Le mur de Berlin est ratatiné. La notion de gauche et de contestation est broyée. Et l'Etat s'est mis à casser la culture et les intellectuels à coups de mécanismes de censure bien étudiés comme les commissions de subvention du cinéma, la commission d'orientation théâtrale, les commissions d'achat des pièces de théâtre pour la télé et la commission d'achat des toiles de peinture, outre les mécanismes de distribution des représentations subventionnées et nous en oublions. A la tête du client ! Entre-temps, radios et télés sont verrouillées et les familles des ex-dirigeants de ce pays se sont mis eux aussi à produire de la culture parce qu'il y a de gros sous à récolter. Ces derniers ont monté des sociétés audiovisuelles herculéennes pour pomper ce cash public directement à la source. Ils se sont mis à monter des radios et ont noyauté la télé et les théâtres. Les intellectuels n'avaient plus alors que deux choix : ou jouer le jeu, se mouiller et offrir au public le produit insipide que vous connaissez. Ou alors résister, endurer toutes les intimidations et garder leur crédibilité. Ces gens-là ont tout de même eu le mérite de résister, bien qu'ils ne soient pas très nombreux. Aujourd'hui, le vent de liberté est de retour. Il va souffler sur d'autres structures et engendrer une nouvelle culture libre : la culture du livre qu'on lira, du film qu'on regardera, du débat qu'on suivra et du poète qu'on écoutera. Oui, notre culture est sauvée.