Comment les acteurs du paysage politique et civil national ont-ils réagi à l'appel lancé, vendredi soir, par le Dr Moncef Marzouki, président de la République provisoire, en vue de la formation d'un gouvernement restreint composé exclusivement de compétences? Ses attributions lui permettent-elles d'avancer une telle proposition ou son appel ne constitue-t-il pas une manœuvre à caractère électoraliste ? La Tunisie dispose-t-elle des compétences non partisanes qui peuvent former ce gouvernement tant convoité, si par hasard l'initiative du Dr Marzouki trouvait une oreille attentive au sein de la Troïka? Autant d'interrogations que La Presse a soulevées et proposées à nombre de protagonistes agissant sur les scènes politique et associative. * Réactions. Salah Zghidi, militant politique et associatif : Tout juste, une opinion personnelle de Marzouki C'est un appel à caractère politique qui n'a rien à voir avec les compétences qui sont dévolues au président de la République provisoire. La seule personne habilitée à former un gouvernement ou à décider de le remanier, c'est le chef du gouvernement après accord de l'Assemblée nationale constituante. Ce genre d'appel traduisant une confusion dans les prérogatives revenant aux uns et aux autres n'est pas nouveau. Déjà, Rached Ghannouchi a annoncé, en juillet dernier, au cours du congrès d'Ennahdha, un remaniement ministériel alors qu'il n'a absolument aucun pouvoir pour le faire. Quant à Marzouki, il n'exprime, en fait, qu'une opinion personnelle. Tout ce que fait le président de la République provisoire répond à deux considérations. D'abord, son caractère rebelle et imprévisible aimant s'entendre et se faire entendre. Ensuite, ses ambitions politiques personnelles dans la mesure où il pense sérieusement depuis quelque temps qu'il fera le meilleur président possible pour la Tunisie. Mais cette fois, avec des pouvoirs réels et consistants. Quant à la formation d'un gouvernement restreint composé de compétences ou de technocrates, il est normal que dans les situations exceptionnelles, on ait recours à cette solution pour une période déterminée. Je pense qu'en Tunisie nous disposons de beaucoup de compétences qui peuvent faire l'affaire en fonction de leur expérience et de leur capacité de gestion. Elles existent dans plusieurs ministères. Pour ce qui est de la société civile, je pense qu'elle ne peut pas présenter de personnalités qui seraient acceptées par les parties concernées puisque la plupart des compétences associatives sont marquées politiquement. Mouldi Riahi, membre du bureau politique d'Ettakatol et chef de son groupe parlementaire à l'ANC : L'heure est à un débat national sur la question du développement La question de la recomposition du gouvernement à la lumière de l'évaluation de son rendement est posée depuis des semaines au niveau de la haute coordination de l'Alliance tripartite. Il y a au sein de cette coordination une tendance vers la réduction de l'équipe gouvernementale sur la base de deux objectifs : l'efficacité de son rendement et la cohésion entre ses membres. Ce qui revient à dire qu'il y a au sein de la Troïka un accord, depuis une certaine période, sur la nécessité de s'ouvrir davantage sur les compétences, qu'elles proviennent de l'Alliance tripartite ou de l'extérieur. A mon avis, l'appel du président de la République provisoire s'inscrit dans cette démarche et ne la contredit pas quant au fond. De toutes les manières, le président de la République provisoire et du fait qu'il représente une partie prenante dans le pouvoir exécutif (en tant que chef de l'Etat, outre la participation de ministres du CPR à l'équipe gouvernementale) a procédé vendredi soir à une évaluation interne, au sein de l'Alliance au pouvoir. Je considère que son action relève d'un courage politique évident. C'est une vertu dans les régimes politiques démocratiques et nous sommes appelés à nous habituer à ce genre de position. Ce qui pourrait avoir surpris les médias et l'opinion publique, c'est bien l'adhésion du Dr Marzouki à cette évaluation interne eu égard au fait qu'il assume un rôle de premier ordre dans la Troïka au pouvoir. D'autre part, toutes les parties représentées au sein de l'Alliance tripartite sont profondément conscientes de l'ampleur des attentes et des revendications légitimes des citoyens dans les régions de l'intérieur, privées de développement un demi-siècle durant. Les événements de Siliana sont venus approfondir notre conscience de la nécessité de mettre un terme à la tension sociale qui y couve et d'associer encore plus les composantes de la société civile, et en premier lieu l'Ugtt et l'Utica, à la réunion des meilleures conditions possibles à l'instauration d'un débat national sur la question du développement. L'objectif que toutes les parties prenantes doivent chercher à atteindre est bien le retour de la stabilité et de la paix sociale, conditions incontournables pour l'impulsion de l'investissement national et étranger et l'accélération du rythme de développement, plus particulièrement dans les régions de l'intérieur. Khaled Krichi, membre fondateur du parti Achaâb : Une tentative de pression sur la Troïka Je trouve qu'avec son appel à la formation d'un gouvernement restreint de compétences, le président de la République provisoire cherche tout simplement à faire pression sur la Troïka. Son initiative est plus un appel politique qu'une proposition à même d'être appliquée puisqu'elle reste suspendue à l'accord des deux autres composantes de la Troïka, Ennahdha et Ettakatol. Pour moi, c'est un appel destiné à apaiser la situation explosive qui prévaut à Siliana, surtout quand on se rappelle que plusieurs autres parties ont déjà proposé la formation d'un tel gouvernement. Marzouki a-t-il les prérogatives nécessaires pour avancer une telle proposition ? Pour moi, il empiète tout simplement sur les compétences de l'Assemblée nationale constituante, la seule habilitée à se prononcer sur un tel sujet. Auparavant, il était question d'un remaniement ministériel dans l'objectif d'élargir l'équipe gouvernementale. Aujourd'hui, on appelle à la réduction du nombre des ministres et à écarter les partis de la nouvelle équation. Au parti Achaâb, personne ne nous a proposé jusqu'ici de faire partie du gouvernement attendu. Au cas où une offre nous serait faite, les structures du parti seront consultées pour prendre la décision idoine. Mokhtar Trifi, président d'honneur de la Ltdh : Une initiative non concertée La nouveauté à souligner est que l'appel à un gouvernement restreint de compétences a été lancé par le président de la République provisoire dont le parti, à savoir le CPR, est l'une des composantes essentielles de la Troïka. Seulement, il faudrait souligner que la réunion de la haute coordination de la Troïka, tenue deux jours auparavant, n'a pas évoqué la question de la constitution de ce gouvernement restreint. Il apparaît, d'après certaines indiscrétions, que les partis composant la Troïka ont été surpris par l'initiative du Dr Marzouki et n'ont pas manqué de préciser qu'ils sont mécontents de l'appel qu'il a lancé sans les avoir consultés auparavant. Personnellement, je ne pense pas que l'initiative du Dr Marzouki soit suivie par ses partenaires de la Troïka qui persistent toujours à ne pas reconnaître l'échec du gouvernement, en dépit de tout ce qui s'est passé, notamment les événements sanglants de Siliana. Pour moi, l'essentiel, maintenant, est de répondre positivement aux revendications relatives au développement et à l'emploi, notamment dans les régions qui se sentent oubliées ou marginalisées et qui n'ont pas manqué de le faire savoir, avec les conséquences douloureuses que l'on sait. Il est impératif, à mon sens, de procéder à un traitement sérieux de la situation sociale dans ces régions. Il y va de l'avenir de l'expérience démocratique. Sur un autre plan, je ne pense pas qu'il y ait des personnalités, y compris parmi les compétences dont parle Dr Marzouki, qui soient disposées à rejoindre le gouvernement et à assumer les conséquences d'un échec auquel ils n'ont pas participé. * Il est à préciser que nos contacts avec les responsables d'Ennahdha pour recueillir des réactions sont restés infructueux. Ceux que nous avons approchés ont préféré ne pas se prononcer, nous déclarant qu'ils n'ont rien à dire pour le moment.