Facebook ne serait-il plus à la mode ? En cette campagne électorale, candidats et simples citoyens ne cachent pas leur désenchantement. « Il ne faut pas sous estimer l'adversaire : chaque voix compte, c'est le moment où jamais de se donner à fond. Il ne faut pas non plus le surestimer, ce n'est pas une foudre de guerre » : sur le fil de l'actualité du réseau social Facebook, les statuts s'enchaînent à quelques jours seulement de la fin de la campagne électorale. Des navigateurs s'engagent sur le terrain pour faire entendre leurs voix et remporter le plus de sièges aux législatives. Ce militantisme virtuel ne ressemble pas toutefois à celui du 23 octobre 2011 : les vidéos « gags » sont mieux partagées que les vidéos de meetings ; les chansons romantiques l'emportent sur les slogans partisans. Les photos privées raflent plus de « j'aime » qu'une photo de candidat sur la voie publique. Les logos en guise de photo de profil (picbadge) sont quasi absents ...Et les discussions enflammées qui se prolongeaient jusqu'au petit matin n'attirent plus les internautes: «En 2011, Facebook fonctionnait comme un espace public massivement politisé...Une sorte d'arène où les différents courants politiques et idéologiques s'acharnaient pour s'imposer. Le débat n'était certes pas d'une grande qualité d'analyse, mais il existait bel et bien. Cette fois-ci, le désintérêt des facebookeurs est palpable. Il y a comme une sorte de mépris vis-à-vis du politique », souligne Sadok Hammami, enseignant chercheur à l'Institut de Presse et des Sciences de l'Information. Que s'est-il passé entre temps ? « Facebook suit le contexte général qui caractérise la société. Ce contexte est actuellement marqué par une dépolitisation de l'espace public », répond le chercheur enseignant. « Trop de politique tue la politique » Facebook aurait pu être un lieu de prédilection pour contourner la législation en période électorale : le réseau n'est soumis à aucune loi. Il échappe au contrôle des instances de régulation à l'instar de la Haica (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle), les sondages n'y sont pas prohibés, les citoyens peuvent s'exprimer librement sans se soucier d'un quelconque « monotoring ». .. « Sur Facebook, je partage les photos de mes plats cuisinés. C'est plus délicieux que les discours des politiciens ...», ricane Sana, membre d'un groupe « amoureux » de la bonne cuisine. « Trop de politique tue la politique », estime Ibtissem qui se connecte sur facebook pour s'amuser et décompresser. L'enseignante dans un lycée ajoute que plus elle entend les hommes politiques s'exprimer plus elle perd ses illusions. « Pendant cette campagne, je ne remarque rien d'exceptionnel ou d'original dans leurs propos. Tout a été dit pendant ces trois dernières années ». Amine, 29 ans, ne cache pas sa déception : « J'ai milité en faveur d'un parti lors des dernières élections. Je répondais avec véhémence aux accusations et dénigrements. Je me suis disputé avec des amis proches et j'ai bloqué certains d'entre eux. Après les élections, ce parti n'a pas tenu ses promesses. Je l'ai très mal vécu. J'ai débloqué mes amis et suis resté depuis à l'écart des commentaires. Après tout, il revient aux partis de s'activer, s'ils veulent gagner... ». Sur le terrain réel, les candidats aux élections législatives donnent libre cours à leurs discours de campagne et multiplient les rassemblements. Sur le terrain numérique, ils se montrent plus discrets. Il suffit de naviguer sur les pages des « personnalités politiques » pour le constater : la majorité ne partage pas de statuts et ne se hasarde pas non plus dans la discussion instantanée. Certains emploient une méthode de communication, la « story telling » pour raconter leurs campagnes. Ils publient ainsi les photos de leurs déplacements, les vidéos de leurs apparitions télévisées, sans plus de commentaires... D'autres se contentent de remercier leurs sympathisants en une seule phrase. Cette retenue est expliquée par un mélange de désenchantement et de méfiance : « Je m'abstiens de commenter rien que pour éviter les mauvaises interprétations. Je ne reconnais plus certaines personnes avec qui je partageais pourtant les mêmes valeurs. Elles tentent parfois de déformer mes propos et m'entrainer dans des polémiques dont je me passerais bien en cette période cruciale», témoigne Leith, candidat tête de liste. Les médias traditionnels retrouvent leur place Le réseau, fierté des révolutionnaires, serait-il devenu un ennemi ? « Facebook est l'expression spontanée d'une communauté. Il brouille la vision en cultivant la rumeur et la désinformation à la place de l'analyse et des projections. Le réseau n'est pas engagé dans une campagne électorale en bonne et due forme. Je me demande si ses utilisateurs consultent les pages des partis politiques pour s'informer ...», relève H.B, journaliste. Entre Facebook, la télévision, les journaux et la radio, le tunisien semble avoir l'embarras du choix en matière d'information avec une préférence pour les médias traditionnels. Selon Sadok Hammami, le débat politique s'organise désormais dans les médias traditionnels qui ont « reconquis une place importante auprès du citoyen ». Alors qu'il était un espace privilégié pour le débat politique, facebook est devenu paradoxalement un espace alternatif pour les partis. « Les partis politiques peuvent toujours faire de la publicité à travers le « facebook act » (pages sponsorisées) du moment que la publicité est interdite dans les médias professionnels ».