Il était en effet temps de repenser la planification des villes tunisiennes. Des orientations importantes viennent récemment d'être mises en chantier, en rapport avec le démarrage de grands sites, tel celui dit d'Enfidha. La mise en activité de l'aéroport et du port en eau profonde laisse prévoir de grands chantiers d'urbanisation. Dans ce cas de figure, la bande passante va reconfigurer tout le littoral du Nord au Sud du pays. Quand on sait que la zone dite du lac sud a déjà son plan d'aménagement, il devenait urgent de maîtriser le flux attendu des migrations internes. Les grandes villes actuelles sont déjà devenues tentaculaires, avec ce que cela suppose en aménagements urbains et en servitudes de toutes sortes. De Bizerte à Sfax, et au-delà, la spéculation foncière en nette hausse montre que la demande ne fléchit pas, loin de là. On observe même que les grands travaux entrepris inlassablement depuis des années sont vite en voie de saturation. Les sorties Nord et Sud de Tunis, pourtant recalibrées pour contenir le flux, montrent rapidement leurs limites. Comme avec les différentes lignes de métro, sitôt la desserte ouverte, sitôt le réseau saturé. Plus on en fait, plus un mouvement d'aspiration surexploite l'infrastructure mise en place. C'est bon signe dans la mesure où il vaut mieux gérer une dynamique de croissance. Mais tout le monde sait bien que les nouvelles villes sont tournées, économiquement, socialement, culturellement, vers les mégapoles qui absorbent tout en s'agrandissant, avec l'impression de fuite en avant que déplorent les départements en charge de trouver des solutions aux questions d'environnement. C'est le cas du Centre International de la Technologie de l'Environnement qui, dans la foulée des dernières décisions prises en Conseil des Ministres, a tenu à présenter son programme de travail au grand public au cours d'une conférence de presse tenue lundi 20 septembre. Les propos étaient centrés sur « le programme de la ville de demain », en particulier dans sa dimension défense de l'environnement. Ainsi, un label conditionné permet de considérer une ville comme « ville jardin » à partir du moment où les espaces verts, individuels ou collectifs, répondent aux critères de superficie par habitant, en plus des infrastructures culturelles et de l'existence par exemple d'un parcours de santé. Ces normes ont été établies depuis quelques années déjà, ce qui suppose qu'au moins une partie du projet a été accomplie. D'ailleurs, des villes comme Kairouan ou Tozeur, ou Sfax ou Gafsa ont reçu la distinction. Et, à moins de déficit de communication dans ce sens, il n'est pas toujours facile de dénicher dans chacun des cas des parcours de santé normalement aménagés pour le confort des citoyens de ces cités. Les initiatives actuelles comportent en effet un volet manifestement délicat à gérer, celui qu'on désigne par « principes de solidarité et d'insertion sociale ». Le concept n'est pas vraiment nouveau, mais des décennies d'occupation échevelée des sols rendent la tâche pour le moins compliquée. Il faut de tout pour faire un monde Le pays a connu de longues périodes où l'urgence a été de faire accéder le Tunisien au logement. Ce qui est un bien en soi. La dimension sociale a donc prévalu, au détriment de grandes zones auparavant rurales. Toutes les décisions successives prises pour empêcher la construction anarchique ont seulement permis de contenir le mouvement sans le juguler vraiment. Au final, peu de grandes villes résistent, mais mollement, compte tenu des besoins réels des populations. Par ailleurs, les moyens financiers de chacun, pesés à l'aune des spéculations foncières, ont écrémé les postulants et ont déséquilibré le processus « d'intégration sociale ». Sans avoir à les monter en épingle, des villes entières, nouvelles, sont fermées au logement populaire ? ce qui n'est pas nécessairement une bonne chose, soit dit sans démagogie. Les urbanistes apprennent en effet dans les écoles que le tissu urbain ne peut pas réussir quand il ne mélange pas les riches et les pauvres, les manuels et les cols blancs. Toutes les expériences dans le monde montrent que l'uniformité de la composante sociale dans une même agglomération finit en ghettoïsation et en conflits sociaux difficilement gérables. Il est en effet peu recommandé de vivre dans une cité où disparaissent les petits boulots de proximité. Il n'est tout aussi pas recommandé de concentrer du petit peuple dans un même centre urbain. Les effets sur les comportements sociaux sont le plus souvent négatifs. Dans beaucoup de cités ayant bénéficié des meilleures initiatives, la spéculation a amené les prix à des niveaux qui sélectionnent de fait les résidents. Quand, par-dessus le marché, les terrains délaissés regroupent les moins nantis, tous les efforts, bien réels, ne suffisent plus. Tunis, La Goulette, Sfax et d'autres ont toujours du mal à effacer les contrastes entre les zones huppées et les autres. Les images au quotidien des parcs aménagés à grands frais montrent qu'il est toujours plus facile d'aller dans le sens de la dégradation des aménagements acquis. A Radès, ce qui devait être un bijou de la nature, le parc Farhat Hached, se dégrade à vue d'œil. Il faut bien chercher pour trouver la trace des indications jalonnant le parcours de santé, pourtant bel et bien tracé au départ. Quant aux autres aménagements, tables rustiques de convivialité et poubelles épousant le décor, ils ont simplement été démantelés. Les autorités locales ont probablement préféré retirer le reste du matériel avant qu'il ne soit entièrement vandalisé. Les efforts de propreté ont suivi, pas nécessairement dans le bon sens, ce qui encourage la tendance à la dégradation. Le côté cour arrive ainsi souvent à dénaturer le côté jardin. La nouvelle ville, celle qui va s'implanter dans les nouveaux espaces promus, devrait aussi tirer les leçons des expériences précédentes. Elle gagnerait aussi à tenir compte des prévisions en relation avec les changements climatiques. Puisque l'essentiel du nouveau va longer la côte, il n'est pas plus mal de tenir compte du relèvement annoncé du niveau de la mer. Dans pas très longtemps, on nous prévient que le niveau des eaux sera de 30 à 50 centimètres plus haut. Et on sait que les jardins ne fleurissent pas vraiment à l'eau de mer. B.B.R., avec ce que cela suppose en aménagements urbains et en servitudes de toutes sortes