Le quatre juin, une vive émotion régnait parmi les cercles de clients réunis. Buralistes, marchands de fruits ou épiciers du centre commercial « Phénicia » et du « Colisée Soula » commentent la nouvelle sensationnelle. Publiée par un journal, de langue arabe, l'information a trait aux martyrs de Thala, exhumés en vue d'une autopsie requise pour l'identification des tireurs sur les manifestants lors de la Révolution. Or, après six mois dans la tombe, les cadavres ne portaient la trace d'aucune putréfaction. Au fil des lectures, les habitués des lieux énonçaient des louanges à Dieu, « Allahou akbar, soubhanallah, môzizah… » En été, les cadavres sont ventilés Moncef, le tenant du kiosque à tabac, enjambe le seuil interposé entre le profane et le sacré pour expliquer l'inexpliqué. Il dit ceci : « En été, les cadavres sont ventilés, puis mis sous terre, au plus vite, à cause de la chaleur. Mais les vers n'attaquent pas les corps des chouhadas. On les a retrouvés intacts comme au premier jour ». Bouleversés jusqu'aux larmes , les hommes n'écoutent pas, ils avalent ces formulations avant même leur énonciation. La communion est au principe de la fusion créatrice de la religion. Un homme, intrigué par mon absence d'exubérance et ma serviette à la main, remarque cette relative distanciation et me pose la plus redoutable des questions : « Que dites-vous de cela ? » « Je refuse le mélange des genres » Si je réponds à ces croyants par l'infirmation de « l'information », je suis bon pour la corde ou l'exclusion de la horde. Alors, je refuse le mélange des genres et je n'entre pas au pavillon de la foi pour dire aux croyants comment ils doivent croire ou ne pas croire. Cependant, j'ouvre la boîte à outils de la sociologie et je dis : « Pour ma part, je n'ai pas vu ; mais si l'information mentionnée résiste à sa vérification, il y aurait, peut-être, une autre explication. Il faudrait voir si le sol ne contient pas quelque substance apte à embaumer les enterrés ». Avec cette hypothèse, où toute autre, du même genre, il est ainsi possible, sans provocation inutile, ni agression futile, de construire le temple de la science aux abords de la croyance. En effet, le tenant de la sociologie religieuse étudie l'homme religieux ; mais infirmer ou confirmer les modalités de la croyance outrepasse le champ de sa compétence. Aujourd'hui, dans les débats, l'exhibition de musulmans soit disant éclairés tombe dans le piège de l'ambigüité. Cloison étanche entre connaissance et croyance L'entrée dans la danse avec un pied de Cheikh et un autre de je ne sais quel sensé savoir entraîne la palabre dans le trou noir. Une cloison étanche sépare la connaissance par la croyance et la connaissance par la science. Chacun pourrait, alors, cultiver le terrain de son intime conviction ; mais, dans l'état présent de la Révolution, l'acceptation de pareille différence accomplit, déjà, en avant, un bond de géant pour éluder le choix débile, de la guerre civile. D'allure anodine, l'affaire de la vermine respectueuse de certains cadavres amène du grain à moudre aux « prêts à en découdre » lors des élections fondatrices de la Constitution. Ainsi rugit la propagande souterraine de la compétition prochaine. A l'horizon de pareille observation brille une ultime interrogation. Quelle filière, manœuvrière, prospère derrière la parution médiatique de l'énorme chimère ? Pour combattre l'affabulation nourricière des ????, le silence, narquois, ne suffit pas. N'en déplaise à la haute voltige assurée par les saltinbanques de la haute culture œcuménique, la plongée dans l'ornière de la superstition populaire pèsera lourd dans la balance de la vigilance. Pour les partisans de l'émancipation démocratique, la veille politique et idéologique n'a rien à envier à la veille sécuritaire, entrepreneuriale ou sanitaire. Le parti nahdhaoui, n'a aucun intérêt à réveiller les endormis dans la pénombre. Ils voteront pour lui.